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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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cependant
et, à la parfin, n’y tenant plus, c’est moi qui brisai l’encombrant silence,
lequel à la vérité ne devait l’être que pour moi seul.
    — Cette Margot, demandai-je sur le ton le plus distant
et détaché qu’il me fut possible en ce prédicament, elle appartient aussi au
domestique du château ?
    — Que non, Miroul ! La Margot est d’une ferme
voisine et donne de son temps, selon les besoins, et contre quelques sols
consentis par Sauveterre. Au potager ce jour d’hui avec la Gavachette,
peut-être au ménage de nos chambres demain, je ne saurais dire, et le jour
suivant, à la corvée d’eau ou au brossage des chevaux, va savoir…
    Et il ajouta d’un ton détaché qui imitait le mien, ce qui me
gela le bec :
    — Joli brin de garce, la Margot.
    Puis, il sifflota d’une assez irritante manière avant de se
retourner vers moi et de m’envisager tout à plein.
    — Sais-tu, Miroul, ce que disait François I er  ?
    — Non, Moussu Pierre, répondis-je surpris par cette
singulière question, qui ne paraissait guère suivre le cours de nos pensées.
    — Il disait : Souvent femme varie, bien fol est
qui s’y fie. N’est-ce pas bien exprimé de la nature des garces,
Miroul ?
    — Sans doute, Moussu Pierre, un roi peut-il se tromper,
même s’agissant des femmes qu’il est bien malaisé de comprendre ?
    À cette réponse, mon maître rit à gorge déployée, affirmant
que je le ferais mourir de rire. Sur quoi, je décidai de ne plus lui parler de
la Margot tant que je ne l’aurais pas ôtée tout à plein de mon esprit.
    D’aucuns penseront, en lisant ces lignes, que mon maître
était, envers moi, tout de moqueries et de saillies piquantes, se gaussant et
se jouant de mon ignorance à plaisir. Je l’ai dit – et je tiens à le
redire encore –, pendant les quelques semaines qui suivirent mon arrivée à
Mespech, il éprouva notre relation de maître à valet comme on tire sur une
corde, s’amusant à mesurer sa résistance et son élasticité. Ce n’est pas
chercher à l’excuser que de ramentevoir au lecteur son jeune âge, et qu’il se
trouvait à cette frontière où on bascule d’une seconde à l’autre, sans
apparente raison, de l’état d’enfant à celui d’homme puis de l’état d’homme à
celui d’enfant. Il s’agissait pour lui, dans un prédicament nouveau qu’il
n’avait jamais connu, d’ajuster la corde à la bonne longueur, ce qu’il ne tarda
pas à réussir, étant flexible lui aussi et s’ajustant aux situations avec une
plasticité des plus remarquables. Mais c’est un point que je tiens à affirmer
haut et fort, afin de couper l’herbe sous les pieds à ceux qui, comme notre
curé, auraient plaisir à enfoncer un coin entre nous deux, oncques n’ai senti
de réelles méchancetés dans ses propos, et encore moins du mépris, quand bien
même parfois les oreilles me chauffaient de honte à l’énoncé de mes
insuffisances.
     
    Quand nous revînmes dans la salle commune, Samson et la
petite Hélix ne s’y trouvaient plus, mais Barberine, assise à la table, donnait
une leçon de savoir-vivre et de morale chrétienne à une jeune fille d’une
huitaine d’années, laquelle était toute de douceur et de timidité, un peu triste,
son long visage blanc et laiteux encadré par deux grandes nattes blondes qui
lui descendaient assez bas dans le dos. Encore ce jour d’hui, je peine à me
ramentevoir si cette garce, fine et délicate, était dans le charnier au moment
où j’y fus pris, mais il me semble que oui, sans que je puisse l’affirmer tant
sa naturelle discrétion avait tendance à l’effacer du paysage. Je sus plus tard
qu’il s’agissait de Catherine, la petite sœur de mon maître, née quatre ans
après lui, et qui fut le dernier enfant de la baronne Isabelle si on excepte
les deux petits anges que Dieu rappela à lui par la suite.
    Catherine se trouvait face à Barberine et, de part et
d’autre de la nourrice-gouvernante, étaient disposés ses deux petits, Annet et
Jacquou, qui écoutaient aussi attentivement que l’unique fille du baron. Annet,
le plus jeune, deux ans à peine, oyait la leçon les yeux ronds, la bouche
ouverte, les bras croisés, totalement immobile, dans une expectation quasi
religieuse, fasciné par sa mère et ses explications qu’il ne devait pourtant
guère saisir. Parfois, le nez lui coulant, il y mettait un doigt comme pour
bloquer la fuite, ce qui faisait qu’il recevait incontinent sur

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