Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
Vom Netzwerk:
silencieux.
    L’intervention de Sauveterre me surprit fort en ce que mon
impression, dans la tour nord-est, lors de mon jugement, avait été que Jean de
Siorac régentait de tout sur tout dans le domaine et que son sévère compagnon
tenait céans une place subalterne. La balance de leur relation ne sautait guère
aux yeux et il fallait y regarder de très près pour comprendre mieux ce qu’il
en était et peser ce qui se trouvait précisément sur chacun des plateaux.
L’épisode du lapin blanc me montra, à l’inopinée et ma grande surprise, un
baron qui se laissait fléchir à l’occasion – ici par son fils
François – et un Sauveterre qui veillait au grain pour que ces faiblesses
n’allassent pas trop loin. C’était déjà une écorne à un baron souverain, maître
de toute décision, inflexible dans ses choix, et qui, par son seul bon vouloir,
présidait aux destinées de tous. La réalité était autrement plus complexe,
mouvante, changeante, instable, se construisant sur un rapport de forces dont
les ressorts souterrains peinaient à s’exprimer, du moins au regard d’un tiers.
    Car il y avait de l’étonnement à les voir ensemble, si
dissemblables en tout, comme chien et chat, eau et feu, mer et terre, et qui
pourtant à la parfin s’accordaient sur le principal, certes au prix de
concessions, mais sans jamais rompre, ou même simplement distendre, le lien
fort qui les tenait. À leur propos, d’aucuns seraient tentés de reprendre, et
en cela renonçant à comprendre, les fortes paroles de Michel de
Montaigne – car, n’en déplaise à mon maître, aussi ai-je lu les écrits du
sieur de Montaigne ! –, lequel définissait de la sorte son immutable
amitié avec Étienne de La Boétie : Parce que c’était lui, parce que
c’était moi. Si la phrase est et belle et touchante et toute de tendresse,
elle ne donne du sens à rien et nous transporte dans la poétique plus que dans
la raison, ce qui ne laisse pas d’étonner pour qui a lu les Essais de ce
grand esprit. Aussi, sans doute, comme ces deux-là, la frérèche se cherchait
avant que de s’être vue [6] ,
mais écrire ceci, au-delà de l’incomparable beauté de l’idée et du pensement,
là encore, est parler pour rien dire. Or on peut, et j’y prétends, voir plus
clair dans la relation entre les deux Jean que l’assemblage ou l’attraction de
deux contraires a priori inconciliables.
    Jean de Siorac était fort travaillé en sa conscience de ce
que son irrépressible instinct le poussât à courir sus à la garce dès qu’il la
reniflait, écornant en cela les préceptes divins enseignés par la religion,
laquelle exige fidélité à l’épouse et retenue dans les désirs charnels. Du
temps de la baronne Isabelle, ses écarts s’accompagnaient incontinent d’une
torture sans nom, car incapable de résister à la tentation – et Dieu sait
si elles sont nombreuses – mais mortifié ensuite de son éconduite, le
baron ne cessait de se repentir, à peine avait-il fini de biscotter, beluter ou
coqueliquer la drôlasse. Il était comme ces maroufles qui chopinent le jour
mais jurent le soir, la main sur le cœur et la voix sincère, qu’ils ne boiront
plus le lendemain. Mais l’instinct est l’instinct, et la raison s’y perdait, et
aussi parfois, pour que gicle le jus de la jouissance, cette même raison
s’illusionnait de grandes passions, qui ne duraient plus guère qu’un coup de
vent sur les pechs du Périgord.
    À ceci qui troublait profondément la vie du baron, d’autres
blâmes s’ajoutaient dont le défaut de colère n’était pas le moindre, en ce
qu’il entraîne les êtres au voisinage de la folie où derechef la raison s’égare
et les commandements de Dieu s’oublient. Il fallait au baron afin que d’éviter
qu’il tombât dans des abîmes sans fond, tel un pourceau d’Épicure, qu’une
conscience droite, sans tache, le redressât sans cesse et non sans rudesse, lui
rappelant l’œil divin qui en tout lieu nous regarde et nous juge. Cette
autorité morale ne pouvait s’incarner que dans un égal, par l’âge et la
condition, car le baron était susceptible assez et ne tolérait point aisément
les reproches quand ceux-ci provenaient de ses fils, et moins encore, comme
bien on pense, des gens de ma condition. Nul, du reste, ne s’y serait risqué.
    Ainsi cet être rare était Jean de Sauveterre, lequel par son
ancienne valeur au combat s’imposait au baron comme un semblable, par

Weitere Kostenlose Bücher