L'avers et le revers
sa
dimension spirituelle sans faille constituait le modèle inaccessible, et par
son attention constante au salut de son ami s’était rendu indispensable à
l’équilibre moral du baron. Et Sauveterre jouait ce rôlet en raison de
l’admiration sans limite qu’il vouait à son compagnon et à ses qualités de
vigueur, de puissance, d’élan et d’amour de la vie qui poussaient celui-ci en
avant toujours, balayant les obstacles comme simples fétus et ce jusqu’au but
désiré, quel qu’en soit le tribut à acquitter.
Peu attiré par les garces, et pas plus par l’autre côtel,
Sauveterre oncques ne s’était marié, tel un parangon de vertu monacale, traçant
son droit sillon d’une rectitude toute protestante, aspirant à la vie éternelle
avant même celle-là, terrestre, qu’il considérait comme vile et basse, et réduite
dans son esprit à un pénible et trop long passage vers la lumière. D’un certain
dégoût de la chair que se peut qu’il regrettât vu l’intérêt constant porté à
Jean de Siorac, il avait construit son système dont il ne se pouvait dévier et
qui, d’une assez morne et triste façon, l’acheminait sans heurt et sûrement
vers la fin du chemin. Sans doute, parfois, ai-je cru sentir qu’il honnissait
cette sienne mélanconie, laquelle se devinait assez pour peu qu’on l’observât
sans que son esprit ne se mît en éveil.
Si je ne craignais pas, par mon propos, d’escagacer et de
rebiquer mon maître – car celui-ci un jour aussi lira ces lignes –,
je dirais que la frérèche était telle une pièce de monnaie, d’un avers et d’un
revers si différents que rien ne les rapportait, mais que souvent l’envie
d’être l’autre les prenait, comme s’ils eussent préféré que la Providence leur
donnât les qualités de chacun en en supprimant les défauts.
Et il en allait ainsi de l’un qui portait haut et loin les
couleurs de la gloire et de la bravoure, mais qui doutait et se débattait dans
les tortures morales, et de l’autre qui restait maître de soi et d’une
fortitude sans faille, digne des livres saints, mais que la vacuité de son
existence attristait jusqu’à la désespérance.
Chapitre IV
Relisant ces dernières pages au sujet de la frérèche, je me
dois d’avouer au lecteur que ce sont là réflexions d’âge mûr que j’aurais été
bien inapte à formuler en ce temps lointain. Mais il est non moins constant,
toutefois, que ce fut pendant les trois années passées à Mespech, de 1563 à
1566, que je rassemblai toutes les matières qui m’ont conduit ce jour d’hui à
ces conclusions. Coulé dans le moule du valet, non sans une certaine volupté,
je mettais à profit la première leçon de mon maître et jouais innocemment aux
oreilles qui traînent, l’air inoffensif assez, affectant même parfois de
décomposer mon visage jusqu’à lui donner l’aspect du plus parfait nigaud, tout
juste décrotté et de la boue et de la fange de sa lointaine campagne.
Ainsi ai-je surpris, sans que l’on me suspectât d’écouter,
moult propos et conversations qui ne m’étaient mie destinés mais qui m’ont aidé
grandement à percer les uns comme les autres, remisant dans ma besace, pour
plus tard, tout ce que je n’entendais pas incontinent mais qui me paraissait
instructif. Il y faut du groin, et je n’en manquais pas, pour trier
l’insignifiant du principal, l’anecdote de l’essentiel, et de capter ainsi,
dans un fatras de clabauderies éparses, une demi-phrase perdue, un mot
maladroit, une réflexion inattendue ou parfois un simple regard qui révélait
prou par son sens caché ou dissimulé.
Et il est merveille que j’aie souvenance toujours de
certaines de ces scènes depuis tant et tant de temps passé, comme si elles
s’étaient à jamais imprégnées dans mes jeunes mérangeoises. Peut-être en est-il
ainsi parce qu’il n’y avait guère de matière encore dans les dites mérangeoises
et que l’on se ramentoit mieux des premiers remplissages que des suivants, au
point que ceux de la vieillesse sont oubliés parfois du jour au lendemain.
Ainsi ce matin-ci où, sous prétexte d’aider Barberine,
j’empoignai une pile de chemises, de pourpoints et de maillots pour l’aller
porter dans la lingerie afin que de lui en éviter le trajet. Bifurquant du
chemin naturel, je montai à l’étage par le grand escalier, puis tournant à ma
dextre, je déambulai dans le corridor, l’air très affairé, la pile de linge
dans
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