L'avers et le revers
comme toi,
j’ai poussé à la ferme et c’est là que j’ai appris la besogne, et l’usance de
la faux me vient de là aussi !
— Et lors pourquoi t’être mis larron ?
Comme toujours, et cela ainsi jusqu’à mon terme ici-bas, à
l’évocation des miens et de leur horrible pâtiment, le cœur me poigna et mon
visage s’attrista, ce que remarqua la Margot.
— Hélas, les miens sont passés à trépas, et tous
massacrés d’une si horrible façon que cela ne se peut exprimer. Et j’en devins
larron pour non pas subir le même sort et finir occis, percé par les piques et
mes tripes épandues sur le sol !
C’est ce moment que je vis que la Margot était une brave et
gentille garce car cette affreuse remembrance, que j’avais évoquée là, navra
son entrain et ternit son sourire.
— Pauvre Miroul, dit-elle. Point ne savais cela et la
Gavachette non plus, qui me l’aurait dit sinon !
Il y eut un silence long et lourd que je ne savais comment
briser, vu que nous étions face à face comme deux poteaux d’une même clôture,
quand elle reprit sur un ton d’une grande douceur où toute raillerie et
hâblerie avaient disparu :
— Et du quel pays viens-tu donc après cette
malfortune ?
— Du pays de Vergt.
Margot ne connaissait pas cette ville et que le lecteur ne
se gausse pas de son ignorance, lors que Vergt n’était qu’à quelques dizaines
de lieues de là, car nous autres paysans ne sortons guère de notre trou,
enlisés dans la même glèbe de la naissance à la mort, sans loisir aucun pour
s’aller visiter le monde, et avec le village voisin pour unique horizon et
distraction.
— Et notre pays, reprit-elle, tu l’as voyagé
aussi ?
— Oui-da, un peu.
— Et Sarlat ? As-tu vu Sarlat ?
— Que non, Margot, point encore ! Mais maintenant
que me voilà valet, j’espère bien m’y rendre avec mon maître qui aime m’avoir
toujours à ses côtés.
— Oh, Miroul ! Quand tu iras là-bas, tu me
raconteras et combien c’est grand, et combien c’est remuant, et comment les
damoiselles sont vêtues ?
Et les yeux de Margot brillaient des mille feux de
l’imagination, mais aussi du regret d’être née Margot, la Margot de la ferme
qui oncques ne bougerait de là, sinon pour marier un rustaud du hameau d’à
côté, qui chaque année nouvelle l’engrosserait d’un marmot, et ceci à
l’aventure jusqu’à mourir en couches.
Pour Sarlat, je le lui promis, et j’avais fait un pas vers
elle, lorsqu’elle se retourna vers le potager. Là, Barberine, la petite Hélix
et la Gavachette avaient cessé de travailler et regardaient dans notre
direction, s’essuyant les mains sur leur longue robe grise.
— Faut que je m’ensauve, Miroul ! s’écria la
Margot.
Elle allait partir mais, contenant un premier mouvement en
arrière, elle ajouta sur un ton soudain grave :
— Je t’aime bien, Miroul. Et tes yeux aussi.
— Mes yeux ?
— Oui, qui sont de deux couleurs ! L’un qui rit,
l’autre qui pleure ! Ainsi es-tu, Miroul, comme tes yeux !
Elle me sourit, d’une si pleine et entière féminité, que je
sentis en moi se répandre un désir subit et brutal qui me fit branler les
entrailles et le reste, et bien cruel est le désir qu’il n’est mie permis
d’assouvir sur-le-champ et qu’on doit étrangler de ses propres mains comme une
mère indigne étoufferait son nouveau-né.
Puis, elle fit demi-tour, et d’une démarche ferme et
assurée, avançant à grandes et puissantes enjambées, les bras se balançant
fortement en alternance le long du corps, ce qui provoquait un agréable
déhanchement à envisager, elle s’éloigna, la tête redressée, les cheveux en
arrière retombant lourdement sur son large dos. Dans le potager, on s’était
remis au labeur, dos cassés, fronts inclinés vers la terre et mains noires
tirant sur herbes folles.
Sans l’once d’un doute, lecteur et lectrice, je gage que
vous avez connu aussi dans votre vie ces prédicaments incertains et troublants
où la tête s’emplit d’une garce ou d’un drôlet, sans qu’on puisse l’en déloger
aucunement, lors même qu’il ne s’est rien passé du tout et que nul ne peut dire
s’il se précisera quelque chose. Cet obsédant pensement ne vous quitte oncques
et le promenez avec vous, partout et en tous lieux, en toutes occasions et
jusqu’à vous emmêler le cerveau qu’il rend confus et rêveur. Ainsi de la Margot
étais-je plein à étouffer lorsque sur
Weitere Kostenlose Bücher