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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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le chemin du retour je croisai les
jumeaux Siorac, si semblables qu’il est impossible de savoir qui est l’un et
qui est l’autre.
    — Bien le bonjour, Miroul, fit l’un.
    — Miroul, bien le bonjour, fit l’autre.
    Cette étrange vision de deux êtres en tout point identiques
et qui n’avaient point besoin d’autres qu’eux pour vivre et être heureux me
rendit soudain envieux de leur bonheur et du but qu’ils avaient atteint sans
avoir eu à le quérir, étant entendu que ce qu’on cherche sur terre jamais ne se
trouve, comme l’expérience de la vie tristement vous le montre. Puisse cette
quête cesser dans l’au-delà et la bénignité de Dieu nous en soulager !
    En la cour de Mespech, je fus interpellé par Faujanet, lequel
souhaitait que je l’aidasse à ranger son bois de châtaignier en son atelier. Je
m’apense asteure que je ne vous ai guère présenté celui-là, sinon pour signaler
qu’il mettait la main avec les autres aux travaux importants du domaine, encore
qu’il y reluctât fort, rappelant toujours à hauts cris qu’il était céans pour
faire des tonneaux, rien que des tonneaux, et que c’était une lourde tâche qui
rapportait prou à la frérèche.
    Faujanet était une trouvaille de Sauveterre qui l’avait
encontré au marché de Sarlat et on ne sait pourquoi Sauveterre lui adressa la
parole, le seul point commun qui se pouvait reconnaître entre eux, à première
vue, étant la boiterie. À la discussion que Sauveterre lança, il se révéla que
Faujanet avait été soldat et qu’il combattit à Cérisoles où il reçut la balle
qui le laissa claudicant, si bien que c’était là deux compagnons en boiterie,
contractée au même lieu et même jour, qui se causaient ce matin en le marché de
Sarlat. Ceci, je le présume, émut Sauveterre qui décida d’embarquer Faujanet en
Mespech. Ce petit homme noiraud s’était appris le métier de tonnelier et
cherchait bonne place pour exercer son art et Sauveterre ainsi l’engagea pour
cela, et depuis lors Faujanet cerclait ses barriques que la frérèche revendait
alentour, jusqu’à Périgueux, et à un bon prix à ce que j’en sus.
    — Viens donc par ici, petit ! me lança-t-il. Et
prête-moi la main que tu me vois toujours fort embarrassé avec ma boiterie pour
ranger ce bois céans !
    Si tonnelier il était, le soldat fleurait toujours par en
dessous et le ton était rude, mais non pas méchant ni acresté, et il ne fallait
pas chercher malice dans son rugueux jargon. Il me commanda à la manœuvre et
j’enfourbis toutes les planches, par taille et épaisseur, aux endroits qu’il
indiquait. Quand tout fut fini, il tata du bout des doigts les pièces de bois
et hocha la tête en connaisseur.
    — Que voilà du bon châtaignier et que j’en ferai de la
belle ouvrage avec !
    Faujanet ne faisait ses tonneaux qu’avec du châtaignier et
non plus, comme dans les temps anciens, avec du chêne qui gâtait le vrai goût
du vin par un parfum fort et entêtant.
    — Pas du vin ça, du jus de chêne ! disait-il en
recrachant à terre quand il tombait par hasard sur une vinasse faite à
l’ancienne mode.
    Lors que je me tenais au milieu de l’atelier, les bras
ballants et l’air absent, Faujanet me regarda en biais, fronça les sourcils et
lissa ses moustaches.
    — Quelle diable de tête fais-tu là, Miroul ! À ton
âge, j’en connais pas trois des causes pour enchifrener de la sorte, ou c’est-y
un vrai grand malheur ou c’est-y une garce qui te trotte par là-dedans !
    Et il ajouta comme s’il se parlait à lui-même :
    — Et le grand malheur tu l’as déjà eu, donc c’est une
garce qui te travaille la tête et les couilles avec !
    Comme je ne répondais rien et que le bonhomme n’était pas du
genre à trouver les mots qui m’auraient soulagé, il se passa un moment long
assez que Faujanet mit à profit pour ajuster ici et là planches et panneaux que
j’avais empilés. À la parfin, il maugréa prou de mon inertie qui l’agaçait.
    — Quand j’étais jeune, on disait au drôle d’aller tirer
son vinaigre tout seul et qu’après, ça allait beaucoup mieux ! J’peux pas
dire pour la tête, mais pour les burettes, c’est sûr !
    Nul depuis lors, pour un pensement d’amour, ne m’a donné remède
d’une telle farine, mais je tiens pour l’avoir essayé, qu’il ne guérit en rien
la tête, et s’il vous vide un peu de votre trop-plein, vous laisse plus
marmiteux que rebiscoulé,

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