L'avers et le revers
jusqu’au seuil de cette
admirable aisance afin de l’entrevoir et, les jours de grâce, l’effleurer du
bout de la plume, la caresser le temps d’une phrase, échappant de la sorte, un
court instant, à mes plus humbles et habituelles capacités.
Ceci passa par une attention plus soutenue encore, une
volonté d’apprendre redoublée, une détermination et une opiniâtreté inégalées
que j’exerçai aux leçons reçues avec la petite Hélix et la Gavachette, où je
tentais de percer les mystères de la rhétorique et de cette science de la
parlerie dont les maîtres du domaine étaient si friands. Nul doute que, des
trois écoliers, j’étais l’élève le plus motivé et dont les progrès furent, sans
contestation aucune, les plus rapides, sans oublier que je les confortais par
ces autres leçons de français du Nord dispensées, non sans mal, par Samson. Ce
fut pour moi le temps de l’imitation, car il ne s’agit que de cela quand on
apprend, et je pris mon maître pour modèle, comme celui-ci en son temps avait
imité son père, et ainsi de suite, telle la chaîne du savoir et de la
connaissance, laquelle démarre toujours par la copie avant de dessiner un
original, celui-ci n’étant hélas réservé qu’aux seules âmes bien nées. Et
j’ajouterai, afin que de clore le sujet, que les Miroul et autres fils de paysans,
à l’ordinaire, n’ont pas de modèle sous les yeux et que ceci explique assez la
raison pour laquelle oncques ils n’accèdent à ce savoir qui leur est à jamais
refusé et impénétrable. Fort heureusement, le regret n’en est pas trop amer, ni
même pénible car, s’ils n’ignorent pas l’existence de ce savoir, son étendue et
son intérêt leur sont totalement méconnus.
D’aucuns penseront que, de mon entrée à Mespech à mon départ
pour Montpellier, mes apprentissages multiples s’arrêtent ici et que lire,
écrire, compter, mieux parler, monter à cheval, manier la pertuisane et le
braquemart, tirer au pistolet sont tâches suffisantes en nombre et en
difficulté pour un jeune drôle de mon espèce. Pourtant, il en est une autre qui
me fut si plaisante et si aisée à acquérir que je m’en voudrais de ne pas vous
la conter également.
Du temps de ma famille, avant l’infâme meurtrerie dont elle
fut victime, j’étais accoutumé à chanter, et sans forfanterie aucune, à chanter
bien. Ceci me prit tout marmot, et le chant chez moi se développa en même temps
que la parole, s’associa et se mêla à elle, comme deux nouvelletés de la même
farine. Que je chantasse d’une belle et agréable façon, ce n’est pas moi qui
osais seul à le prétendre – suis-je coutumier à me paonner ainsi ? –
mais on le disait et le répétait, ici et là, partout, dans notre hameau et ceux
voisins, et l’on me demandait de chanter devant autrui, et je voyais bien que
la chose plaisait, et en particulier aux garces qui écoutaient rêveusement en
se tenant quiètes.
Quand, hélas, je fus jeté en larronnerie sur les chemins de
misère, je cessai tout à plein de chanter, et cela sans même m’en rendre
compte, toute joie et espérance coupées, et la tristesse pour unique compagnon.
Ce qu’on croit avoir oublié, pourtant, n’est rien qu’enfoui dans le souvenir
d’une vie ancienne, et revient parfois tout soudain en mémoire pour peu que la
fortune change de bord et vous joigne derechef. À Mespech, je me remis à
fredonner et siffloter, sans du tout m’en apercevoir au début, mais tout naturellement,
comme on se remet debout après l’alitement d’une longue intempérie. Puis je
chantai vraiment, comme auparavant, des chants de nos campagnes ou des psaumes
de ma religion, car c’est à moi qu’on demandait de psalmodier quand, en
famille, on célébrait la cène. Chez mes nouveaux maîtres, je n’osais chanter
devant les autres et me cachais, m’isolant assez pour donner libre cours à mon
plaisir, qui est réel comme bien le savent ceux qui, comme moi, possèdent ce
don.
Or donc, un soir de ce mois d’août finissant, au soleil
déclinant, je me trouvais sur le chemin de ronde, accoudé au créneau, face aux
verdoyants combes et pechs de notre joli pays, et je me mis à chanter un psaume
que mes parents aimaient, et de le chanter m’émut tant et tant, dans la souvenance
de mon père et de ma mère, que mes yeux s’en mouillèrent, et que ma voix
vibrante s’enfla d’émotion et atteignit les accents de la grâce et de
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