L'avers et le revers
pas.
— Voici une viole d’amour, Miroul, ainsi que l’archet
qui va avec. Elle appartenait à la baronne Isabelle qui en jouait bien et
souvent. Depuis, elle ne sert plus, sinon aux araignées qui font leur toile
entre les cordes, et c’est grande pitié que d’être inusité de la sorte pour un
instrument qui est si beau à entendre. Le baron, qui la possède à présent, ne
s’oppose pas à ce que tu t’y essayes. Moi-même, j’ai tenté, après le décès
d’Isabelle, d’en tirer quelques agréments mais je suis trop vieux sans doute
pour apprendre et mes progrès sont lents. Ta jeunesse, ton habileté et ton
oreille devraient en tirer parti. Qu’en penses-tu ?
Et béant je restai, tant l’attention dont j’étais l’objet me
paraissait démesurée.
— Qu’en penses-tu, Miroul ? reprit-il, remarquant
mon trouble.
— Vramy, Moussu Sauveterre, m’en croyez-vous
capable ?
— Assurément. Tiens, je vais t’en bailler une première
et dernière leçon pour te montrer comment on procède.
Et tenant la viole de la main gauche, il posa l’autre
extrémité sur son épaule, puis saisissant l’archet de la dextre, il le fit
glisser sur les cordes qu’il pinçait en même temps avec les doigts de sa
sénestre. Je fus étonné de la mélodie que l’on tirait ainsi et qui me parut
tant belle et mélodieuse qu’elle vibrait dans la tête. Si Sauveterre affirmait
que ses progrès étaient lents, j’en témoigne encore ce jour d’hui qu’il jouait
non sans une certaine aisance et que j’en fus admiratif assez, d’autant que le
son produit me sembla imiter la voix même de l’homme avec ses inflexions. Quand
il arrêta, reposant l’instrument sur ses genoux, il dit :
— Pourrais-tu chanter à présent ce que je viens de
jouer ?
J’y parvins sans difficulté aucune tandis que Sauveterre
fermait les yeux pour mieux m’écouter.
— Tout à fait remarquable, fit-il, un air que oncques
tu n’entendis et sans que j’aie à le jouer derechef. Ton oreille est parfaite,
Miroul, et grâce à elle tu sauras trouver, sur la viole, les accords qui te
permettront de jouer tout ce que tu désireras.
Il me tendit l’objet que je pris avec respect et me donna
congé, en ajoutant au moment où je franchissais la porte :
— Désormais, le dimanche, tu chanteras les psaumes
quand nous célébrons la cène.
Sauveterre point ne se trompait, car vite je perçai les
secrets de la viole, et créant ma mienne technique, sans doute barbare puisque
nul ne m’en baillait d’autre, mais efficiente assez, j’acquis la virtuosité de
l’autodidacte, lequel se soucie peu de méthode, car il a la sienne, et qu’elle
ravissait tout Mespech, sans distinction d’âge, de sexe ou de condition.
Chapitre V
En mai de l’année 1564, le mal de peste qui ravageait Sarlat
s’évacua de la ville sans qu’on puisse en connaître la raison, sinon que cette
désertion fut soudaine, qu’elle soulagea les survivants, et permit aux
bourgeois aisés ainsi qu’à la hiérarchie du clergé et de l’État de retourner
enfin en la cité, et d’y reprendre leurs quartiers. Le bilan de l’épidémie fut
l’un des plus lourds jamais subis par la ville, le tribut payé se comptant en
milliers de morts.
La question de la peste ne se pouvait ignorer même en
Mespech, pourtant isolé de la ville et de ses pestilences, car ce mal est
grandement contagieux et le moindre quidam infecté peut, en un souffle,
recruter pour la faucheuse moult complices involontaires, qui répandent à leur
tour la mort aux alentours. C’est pourquoi le baron, quand je débarquai au
château vers mars 1563, s’informa au plus tôt d’où j’étais et fut fort rassuré
d’apprendre de ce que je venais de Vergt, le Périgord vert, et non point du
côté de Sarlat, et autres lieux infects. Nul doute que j’eusse subi une
quarantaine aussi si j’avais traversé les places contaminées.
À Mespech, il y avait ceux du dedans et ceux du dehors,
ainsi appela-t-on, du temps de la peste, ceux qui vivaient en et hors des murs,
ceux-ci étant Cabusse et sa Jacotte, Coulondre et sa Cathau, Jonas et sa
Sarrasine, et Margot. Jonas était le carrier du domaine, et recruté par la
frérèche dès avant la naissance de mon maître, peu de temps après les noces
entre Jean de Siorac et Isabelle de Caumont. Originaire des Monts d’Auvergne,
du village de Marcolès, carrier de métier, c’était un grand gaillard barbu,
noué de muscles
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