Le Baiser de Judas
mieux encore. »
Il se tourna vers les autres.
« C’est vrai, je vous le dis, vous verrez
le ciel ouvert et les anges de Dieu descendre sur le fils de l’homme. »
Encore les cieux qui s’ouvraient… Mais Judas
ne nota même pas la répétition, tant il avait du mal à en croire ses yeux. Jésus
était encore plus impressionnant qu’il ne le pensait. À moins qu’ils n’aient
été d’accord à l’avance et que toute cette comédie n’ait été faite que pour
impressionner le petit groupe ? Mais non, il y avait dans la scène une
naïveté, une spontanéité qui ne pouvait être organisée. Barthélémy s’assit
parmi eux, et le gros éclat de rire de Simon scella son arrivée.
Le soir, Jésus s’écarta pour aller prier. Le
petit groupe, qui avait l’habitude des prières communes, s’en étonna.
« Je vous surprendrai par beaucoup d’autres
choses, même si vous êtes mes disciples. »
Tous acceptèrent le terme sans même s’en
rendre compte.
« J’ai envie de continuer à parler aux
gens, expliqua Jésus à Judas le lendemain. Mais je crois qu’il vaut mieux
commencer par aller dans les synagogues. Quand nous aurons convaincu les
savants, nous parlerons aux autres. »
Judas acquiesça et prit en main l’organisation
des rencontres avec les rabbins et les officiants, en envoyant chaque fois deux
ou trois compagnons prévenir de l’arrivée de la troupe qui, du coup, trouvait
toujours des errants ou des malades à l’attendre.
Ils retournèrent à Capharnaüm, où Jésus avait
l’intention de profiter du samedi pour prêcher.
« Tu ne vas pas aller à la synagogue de Capharnaüm !
protesta Judas. Elle a été financée par un Romain qui prétendait aimer les
Juifs… »
L’idée paraissait inadmissible à Judas.
« Je ne vais pas continuer à parler uniquement à de petits groupes de
pêcheurs. Mon père me l’a dit : il faut que j’atteigne le plus grand
nombre. Capharnaüm est pleine de monde en ce moment. C’est là que je dois
commencer pour de bon. »
De loin, ils virent la synagogue, construite
sur une plate-forme, majestueuse. Sept colonnes soutenaient sa nef et son
dallage était d’albâtre. Tous les sièges étaient occupés ; il y régnait
déjà une odeur puissante.
C’était jour de sabbat. Dans le petit chœur, autour
de l’arche qui contenait les rouleaux de la Loi, sept membres de la communauté
étaient assis, tous vêtus du taliss blanc. Les deux premières bénédictions
étaient déjà passées et l’un des officiants était en train de lire en hébreu un
extrait du Pentateuque. Après la prière des dix-huit bénédictions, chantée
debout, la tête orientée vers Jérusalem, le rabbin se tourna vers la salle, demandant
si quelqu’un souhaitait lire un second texte, tiré cette fois des Prophètes, et
ensuite le commenter. Personne plus qu’un autre n’y était habilité et n’importe
quel Juif un peu reconnu pouvait ainsi gloser des heures sur quelques versets, activité
qui avait le don de faire périr Judas d’ennui. Le chef de la synagogue s’adressa
aux nouveaux arrivants…
« Peut-être daignerais-tu venir nous
donner ton avis ? »
Jésus se leva. Il grimpa sur le bêma, l’estrade,
et déroula à son tour le long rouleau de peau que lui tendit le hassan.
Sans problèmes, il déchiffra l’hébreu
classique dans lequel était rédigé le texte, savoir qui ravit Judas.
C’était un passage du livre d’Isaïe :
« L’esprit
du Seigneur est sur moi.
« Pour
porter la bonne nouvelle aux pauvres.
« Renvoyer
les opprimés. »
La voix de Jésus
était belle, avec quelque chose d’envoûtant, et il y avait sur son visage un
air de pénétration inspirée qui faisait oublier ses traits ingrats. Il avait du
charme, incontestablement, et Judas qui jetait un regard sur l’air attentif des
auditeurs ne put qu’en sentir les effets.
Puis Jésus commença le commentaire en araméen.
Très vite, la rumeur devint forte. Car le
jeune homme, soudain, brisa toutes les règles. Il dit « je », donna
son avis, comme s’il enseignait lui-même au lieu de s’en tenir à la Loi. Il
annonça que la venue du messie, que promettait le texte d’Isaïe, venait de s’accomplir.
Il annonça, encore pire, que le messie ne serait pas forcément un chef guerrier
et qu’il admettrait à ses côtés les opprimés de tous pays, et pas seulement les
Juifs. Dans les rangs des pharisiens, le brouhaha devint intolérable.
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