Le Baiser de Judas
rabâchage, sans voir au contraire tout ce que l’adolescent
apportait de maturité dans la façon dont il tentait de comprendre et de s’approprier
les paroles de son aîné.
Il n’y avait pas
dans la troupe entourant Jésus de zélotes à proprement parler, à l’exception de
Simon, mais Judas quand il discutait avec ses compagnons les sentait tout
acquis à leur cause. Jésus, sans s’être ouvertement déclaré en faveur du
mouvement, n’avait jamais désapprouvé son ami quand il le trouvait en plein
prosélytisme. Aussi Judas continuait-il de tisser sa toile de village en
village, avec l’aide de quelques-uns des disciples les plus engagés, Thomas le
Dydime ou Thaddée. Après chaque intervention de Jésus, il allait vers ceux qui
réagissaient le plus à ses discours. Car le prédicateur ne ménageait pas les
pouvoirs en place, évitant de heurter de front les Romains, mais ne manquant
pas de stigmatiser l’occupation, génératrice de bien des maux. Il fit même un
jour témoigner Matthieu sur ce qu’avait été son rôle de collecteur d’impôts et
la façon dont une part de ces impôts était détournée. Ce jour-là, Judas
craignit vraiment qu’il ne soit allé trop loin.
« Il est temps de développer notre action,
vint lui dire Jésus le même soir. Il y a du bon dans ta manie de laisser
derrière toi des hommes informés de ce que nous voulons. Il faut multiplier ces
contacts. J’ai envie de me séparer un moment de vous et de vous envoyer
diffuser mon message.
— Qui ça, nous ?
— Quelques-uns de ceux qui m’accompagnent
depuis le début. Dont toi, Judas. Vous serez mes représentants, mes apôtres. Vous
porterez la nouvelle à ma place.
— Nous resterons séparés longtemps ?
— Le temps que ma parole se répande. J’ignore
combien il me reste à passer sur cette terre…
— Pourquoi dis-tu cela ?
— Je ne sais pas, un pressentiment. Mon
père me le laisse entendre. Ce n’est pas encore très clair, mais… Bref, nous
devons aller plus vite. Sinon, je ne suis pas sûr de pouvoir tout faire.
— Et quelle sera notre tâche ?
— Répéter ce que j’ai dit, et préparer ma
venue. Je vous accorderai aussi le pouvoir de chasser les démons du mal. »
Judas sourit.
« Les démons du mal ? Quel don
sympathique ! Ne préférerais-tu pas me donner de quoi chasser les Romains ?
— Ne plaisante pas. Cela vous sera utile. »
Judas ne parvint pas à effacer l’ironie de ses
traits, mais il sentit qu’il peinait son ami et se força à prendre l’air
concentré.
Le lendemain, Jésus
réunit les hommes qui étaient avec lui.
« Je vais confier à douze d’entre vous la
mission de répandre ma parole. »
Un frémissement parcourut les rangs. Judas
regarda avec mépris cette soumission.
« Vous irez par les chemins et répéterez
ce que vous m’avez entendu dire. Vous pourrez guérir les démons. »
Cette dernière proposition réjouit plus
particulièrement les élus possibles, qui se mirent à se pousser du coude.
« Moi, moi », crièrent certains.
Jésus tendit la main.
« Ce sera difficile. Vous serez sans
doute mal accueillis et vous n’aurez plus la ressource de vous adresser à moi. C’est
un honneur, mais un honneur qui se paiera cher. J’ai choisi ceux d’entre vous
qui le recevront. Jacques, viens là. »
Deux hommes sortirent du rang.
« Non, toi, le fils de Zébédée, dit Jésus.
Remarque, reste aussi, toi, fils d’Alphée. Je comptais également sur toi. »
Jésus leur posa les mains sur la tête.
« Vous irez à Sichem…
— À Sychar ? »
Le groupe s’esclaffa : sychar voulait dire ivresse en araméen, et c’était une plaisanterie classique que de
confondre le mot avec le nom de la capitale de la Samarie.
Puis Jésus appela neuf autres hommes. Pierre s’avança
le premier. Jean, le frère de Jacques, André, Philippe, Barthélémy s’agenouillèrent.
Un murmure hostile, que Jésus dut calmer d’un regard féroce, parcourut la foule
quand Matthieu, anciennement Lévi, fut nommé à son tour.
Simon fut appelé. Judas commençait à se
demander avec inquiétude s’il allait lui aussi être désigné, quand il entendit
son nom. Il s’avança, sans pourtant s’agenouiller.
Ce fut quand ils se retrouvèrent tous les
douze autour de Jésus que les élus semblèrent subitement comprendre ce qu’allait
entraîner cette séparation. Pierre en avait presque les larmes aux yeux, et
tous s’étonnaient
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