Le Baiser de Judas
végétation semblait s’y battre
avec le sol. Des arbres surgissaient soudain de derrière un aplomb rocheux, d’autres
s’enracinaient au flanc des collines et au loin, des oliviers groupés faisaient
un point vert sur le jaune chaud du désert.
Barabbas, après avoir grimpé le long de la
pente, se faufila dans un entrelacs de rochers et de petits couloirs, regardant
les crottes d’âne et les traces de sabots, puis obliqua vers la droite. Partout,
aux flancs des montagnes, s’ouvraient de petites grottes. Parvenu au-dessus d’elles,
sur le plateau, il tira de son sac une grosse corde en chanvre qu’il passa en
double autour d’un vieil arbre isolé, qui ne semblait avoir poussé là que pour
pouvoir un jour l’aider.
« Prends les deux brins dans ta main, et
fais attention en te laissant descendre. »
Judas fut pris d’un vertige au moment de se
jeter dans le vide. Terrifié, il se colla contre la paroi, sans lâcher la corde.
Le rire du géant le poussa à continuer.
« Détache-toi de la paroi. Ce ne sera pas
long. Pense surtout à bien te tenir. »
D’un coup, il sentit la corde se raidir. Un
homme venait de surgir d’un trou absolument invisible d’en haut et s’en était
saisi. En quelques secondes, Judas fut à ses côtés. Barabbas ne tarda pas à le
rejoindre. Il tira sur la corde, et elle s’abattit à ses pieds.
« Je te présente ton nouveau domaine. Bonjour,
Ézéchiel. »
Il souriait, amusé et, rapidement, entra.
Judas le suivit. Devant eux s’ouvrait une
petite salle, au fond de laquelle partaient trois couloirs. Barabbas se dirigea
vers celui de gauche et, à l’entrée, murmura un mot de passe. Un autre homme
surgit de l’ombre, un poignard à la ceinture.
Ils suivirent le couloir sur une cinquantaine
de mètres et débouchèrent, après un coude, dans une pièce où se tenaient une
dizaine d’hommes. Du feu avait été allumé. Quelques oiseaux plumés attendaient
d’être grillés.
L’entrée de Barabbas suscita moins la joie qu’une
sorte de raidissement respectueux. Ceux qui étaient assis se levèrent.
« Bonjour, compagnons. »
Des « bonjours » un peu éteints lui
répondirent.
« Je suis venu avec une nouvelle recrue, le
fils de Simon, qui est mort sur la croix avec Juda. Il nous a déjà aidés à
quelques reprises, en portant des messages. Il faudrait l’installer. Jochanaan,
occupe-t’en. »
Un des hommes se détacha du groupe.
« Suis-moi. »
Un autre couloir débouchait sur une pièce plus
petite. Des paillasses étaient installées sur le sol.
« Tu te mettras là. »
Judas posa son sac. Quelques jeunes gens
somnolaient, et l’un d’eux se poussa en grommelant. Déjà plus personne ne s’intéressait
à lui.
Quand il se réveilla
le lendemain matin, transi de froid, Barabbas était déjà reparti. Le cuisinier
le requit pour écosser des fèves. Judas, qui s’était vu guerrier, voulut
protester, mais la main de l’autre se resserra sur son épaule. Les feux avaient
été éteints, et il régnait dans la grotte une odeur d’hommes endormis
pestilentielle.
Judas s’attela au tas de fèves, profondément
humilié : la place de son père dans le mouvement du Gaulanite, tout comme
la façon dont Barabbas l’avait prié de venir les rejoindre lui avaient fait
croire qu’il serait accueilli en personnage d’importance. Et il s’apercevait qu’il
n’en était rien.
Pendant une semaine,
il fut affecté à tous les travaux ménagers possibles. Il prépara la cuisine (plutôt
mal d’ailleurs, mais les hommes semblaient plus préoccupés par la quantité que
par la qualité de ce qu’ils mangeaient), tenta de nettoyer les paillasses, dont
les remugles empestaient en permanence l’espace commun, remonta par la corde, un
sac attaché sur le dos, les déchets qu’il fallait enterrer de manière à ce que
la grotte ne fût pas repérée. Il découvrit des travaux que sa mère avait
jusque-là effectués pour lui : recoudre des tuniques, balayer le sol, allumer
le feu… Deux ou trois autres garçons de son âge s’affairaient aux mêmes tâches.
Ils lui parlèrent peu. Le soir, ils jouaient aux osselets ou à kollabixe, ce
jeu où l’un d’entre eux avait les yeux bandés et devait deviner qui le frappait.
Le matin, il s’éveillait transi : il allait lui falloir s’habituer à ces
nuits de Judée qui devenaient glaciales à l’aube, avant que ne règne à nouveau
la fournaise du jour.
Sa quatrième nuit, un
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