Le Baiser de Judas
cri interrompit leurs
activités.
« Patrouille dans la vallée. Cachez tout,
éteignez les feux. »
Immédiatement, un grand remue-ménage se fit
dans la grotte. Les feux furent éteints, chacun reprit ses armes, et ils se
mirent en position d’attaque.
« Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda
Judas.
— Une sentinelle a signalé des Romains. Ils
patrouillent assez souvent, depuis la garnison de Jéricho. Chaque fois, nous
nous tenons sur le qui-vive, jusqu’à ce qu’on nous prévienne qu’ils sont partis. »
Quelques instants plus tard, ce fut fait. Les
feux furent rallumés, et une soupe mise à cuire dessus. Les hommes s’assirent
et mangèrent en silence. Puis certains tirèrent des dés de leurs tuniques et
jouèrent. Judas retourna se coucher sur sa paillasse et sombra dans un sommeil
sans rêve.
La vie était
monotone, bercée par les travaux quotidiens et les disputes des hommes qui
tournaient en rond. Judas craignait que l’ennui ne finisse par le tuer, et l’envie
d’en découdre avec les Romains le tenait parfois éveillé tant elle était forte.
De temps à autre, des hommes partaient, qui revenaient deux ou trois jours plus
tard. Judas et ses compagnons épiloguaient alors sans fin sur ce qu’ils avaient
pu faire, leur imaginant des exploits grandioses. Eux-mêmes, au bout d’un mois,
commencèrent à sortir.
Que faisait-il là, dans le fond ? Il
apprenait. Il apprenait en rabattant devant son visage un pan de son manteau à
se protéger du sable qui s’infiltrait partout, bouchait ses narines, crissait
sous sa dent. Il apprenait à construire de grossiers abris de branchages pour s’isoler
du froid des nuits, à respecter sans les craindre les deux maîtres du désert, le
chacal et l’aigle…
Le soir, un homme, pas toujours le même, venait
leur donner des conseils. Il leur recommandait, ce qui ne manquait pas d’ironie
tant le nombre d’analphabètes était grand, de ne jamais rien noter, de penser
aux lieux sous des noms imaginaires, de ne pas s’étonner quand ils ne
comprenaient pas ce qu’on leur faisait faire : la survie de tous dépendait
justement de leur incapacité à parler en cas de capture. Il leur recommandait, s’il
leur arrivait de tomber entre les mains de l’ennemi, de rester muets en toutes
circonstances, de ne pas se laisser embarquer dans des discussions où ils
risqueraient, pour convaincre l’autre, de lui livrer des détails compromettants.
Il leur recommandait enfin de rester simples et naturels et, aussi tentant que
cela soit, de ne pas céder à l’envie de prendre des airs de conspirateurs. Il
leur apprit aussi la supériorité au combat des Romains : la discipline, la
formation des légions en bataille, l’usage du glaive court… Il leur montra
comment, sachant cela, il fallait éviter à tout prix les affrontements et
chercher au contraire des circonstances où ils pourraient, eux, imposer leurs
règles.
Un soir, pourtant, ne fut pas comme les autres.
Moishé et Isaac, deux jeunes adultes d’Éphrem, étaient revenus chargés de deux
grosses cruches. Elles contenaient une eau-de-vie de raisin très forte. Une
douzaine de volailles furent égorgées, puis vidées de leur sang, la plus grande
partie recouverte immédiatement de sable, le reste purgé en plongeant la bête
dans une bassine d’eau, comme l’exigeait le rite. Ils commencèrent à boire. Quand
Ismaël, l’un des responsables du groupe, intervint, ils l’envoyèrent paître, lui
expliquant que seul Barabbas pouvait leur donner des ordres.
« Lui s’est battu », attaqua Moishé,
qui s’était pour sa part essentiellement illustré dans des bagarres d’ivrognes.
Judas alors s’approcha. Les hommes le virent
venir en riant. Il savait ce qu’était le vin, mais n’en avait jamais bu sinon
lors de cette nuit chez les Romains à laquelle il ne pensait encore qu’avec un
frisson.
Moishé et Jérémie ricanèrent.
« Un coup, mon gars. »
Judas but. Il sentit un feu lui brûler la
gorge, et plissa les yeux. Ce n’était pas bon, mais il se força à avaler une
seconde gorgée.
« Eh, laisses-en aux autres. »
Moishé, en lui reprenant la cruche, lui en
versa sur la tunique. Tous s’esclaffèrent.
Judas commençait à se sentir mal à l’aise, mais
il continua à boire, avec volonté, pour aller au bout de l’ivresse et se
débarrasser du souvenir qui l’obsédait. Les autres le regardaient faire, s’amusant
et se moquant d’efforts qu’ils ne
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