Le Baiser de Judas
cela n’a pas fait peur aux
Romains et cela nous a fait perdre quelques-uns des meilleurs d’entre nous. Il
nous faut changer de tactique.
— Pas abandonner…
— Non, bien sûr, pas abandonner, mais
faire différemment. Il faut les harceler. En permanence. Leur faire peur. Qu’ils
aient toujours l’impression que quelqu’un va leur tomber dessus, que nulle part
sur cette terre, ils ne se sentent en sécurité.
— Et je peux t’être utile ?
— Nous avons besoin de combattants. Tu es
encore jeune, mais tu peux apprendre.
— Que deviendra ma mère ? »
Mais Judas en son cœur savait qu’il avait déjà
accepté.
« C’est pour cela que j’ai apporté cette
bourse. Il faut que l’organisation soit capable de nourrir les familles de ceux
qui la défendront. Si tu viens avec nous, nous nous assurerons que ta mère et
ta sœur ne manquent de rien.
— Parce que, si je vous rejoins, il
faudra que…
— Que tu quittes la maison. Oui, mon
enfant. Il n’est plus temps d’atermoyer. Si tu viens, tu dis au revoir à ta vie
actuelle. Je ne te prends pas en traître, mais réfléchis bien : une fois
que tu auras dit “oui”, il sera trop tard pour reculer. »
Judas comprit alors tout ce que Barabbas lui
demandait, et mesura la différence entre l’aide qu’il avait apportée aux
rebelles, secondé par un père en qui il avait toute confiance, et le choix qu’il
allait faire, seul, de sa vie.
Il baissa la tête quelques instants, le temps
que s’inscrive devant lui le chemin qu’il devait prendre.
Ciborée entra à ce moment dans la pièce et
enlaça Judas.
« Fais pour le mieux, mon fils. »
Le lendemain matin, Judas partait à pied, tentant
de ses courtes foulées de suivre le pas ample de Barabbas.
Ils longèrent le lac
de Tibériade, et poussèrent jusqu’à Scythopolis, où Barabbas décida de faire
halte. Le lendemain, ils prirent la route des voleurs, qui montait dans les
hauteurs du pays, et pénétrèrent en Samarie. Judas eut en posant le pied sur
cette terre honnie le dégoût que se devait d’avoir tout bon Juif : la
Samarie n’était peuplée que d’idolâtres et leur contact était presque pire que
celui des Romains. Ils pressèrent le pas, la gorge asséchée par la poussière
que soulevait le vent. Les blés de la plaine d’El-Makneh commençaient à pousser,
et les cigales y stridulaient. Barabbas cracha dans leur direction :
« L’eau des Samaritains est plus impure que le sang du porc », jura-t-il.
Ils s’arrêtèrent pour prier et rendre hommage au prophète Joseph, enterré là, dans
ce pays où ne régnaient plus que le schisme et l’infidélité. La dureté de la
route se faisant sentir, ils parlèrent de moins en moins, et c’est au rythme
soutenu de l’effort qu’ils quittèrent la terre maudite. Refusant d’y dormir, ils
ne se couchèrent que longtemps après la nuit tombée, quand ils atteignirent la
Judée, aux abords d’Alexandrion.
Le lendemain, Barabbas était levé avant le
soleil.
« Viens : nous devrions y être en
début d’après-midi. »
Judas était stupéfait du changement du paysage,
que la longue route de nuit lui avait caché. Qu’était-il advenu de la beauté de
la Galilée ? Où étaient passés la verdure, la terre plantureuse, ce
sentiment qu’elle peut tout donner ? Le tapis d’anémones, de coquelicots
et de reines-marguerites qui resplendit en mars et avril n’était plus. Seuls
les lauriers-roses continuaient à se frayer entre les cailloux un courageux
chemin. Qu’importaient alors que les routes de Judée, construites par les
Romains, soient souvent pavées et tracées droit quand le plus petit et plus
mauvais chemin galiléen offrait des splendeurs ici inconnues ?
Quand ils arrivèrent à Éphrem, construit sur
une hauteur comme la plupart des bourgs qu’ils avaient croisés, Barabbas s’arrêta
et sortit de son sac quelques figues et un bout de pain.
« Pas fatigué ?
— Non, répondit Judas, qui ne l’eût de
toute façon pas avoué. Où allons-nous ?
— Nous allons grimper vers ces montagnes,
au bord du désert. Derrière se trouvent une série de grottes et de gorges, avec
suffisamment de galeries souterraines pour pouvoir égarer les Romains. Nous y
sommes installés depuis la destruction de Sepphoris.
— Tu ne me bandes pas les yeux ?
— Tu es des nôtres maintenant. »
Judas regardait pour la première fois cet
univers qui allait lui devenir si familier. La
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