Le Baiser de Judas
comprenaient pas.
Et d’un coup, Judas fut soûl. Il se mit à rire,
raconta des histoires drôles, dit n’importe quoi. Un sentiment de bien-être
rare l’envahit. Il regardait ses compagnons, souvent hilare, et, pour la
première fois, se sentait bien parmi eux.
Avant d’aller se coucher, il vomit dans un
coin de la caverne qu’il lui fallut nettoyer dès son réveil. Malgré cela, le
lendemain, il exultait. Il avait le sentiment, à peine gâché par les moqueries
dont il fut la cible, d’avoir enfin appartenu au groupe. Et il ne pensait plus
de la même manière à ce que lui avaient fait subir les Romains.
Enfin Barabbas
revint. Il passa dans les cuisines, où le jeune homme et deux nouvelles recrues
étaient occupées à nettoyer un gros chaudron.
« Alors, jeune guerrier… Ces progrès ? »
Barabbas essayait d’avoir un mot pour chacun. Sa
présence créait chez tous une tension inhabituelle, et personne ne se
comportait quand il était là comme en son absence.
Judas sortit avec lui. Le soleil le fit
cligner des yeux. Depuis une semaine, il n’avait quasiment pas revu la lumière
du jour. Barabbas se tourna vers lui et, avant même qu’il ait pu se protéger, lui
mit une forte gifle. La surprise, plus que la douleur, fit hoqueter Judas.
« Ceci, c’est pour t’être soûlé l’autre
soir et avoir souillé l’abri où tu dormais. Tu dois être toi-même en permanence.
Si jamais tu te laisses aller, ce sont les autres qui peuvent en pâtir. Tu fais
maintenant partie d’un groupe, et tu n’as pas le droit d’agir contre son
intérêt. Tu peux être un jour amené à te sacrifier pour le sauver. Ce n’est pas
en te comportant ainsi que tu y arriveras. »
Judas n’avait rien à répondre. Immédiatement, Barabbas,
qui avait appris à distiller le chaud et le froid, passa à autre chose.
« Cela fait plus de huit jours que tu t’occupes
des travaux ménagers. Tu t’es acquitté de ta tâche sans rechigner, et cela en
revanche est bien. Tu sais, je ne t’ai pas fait venir pour nous servir d’esclave.
Dans quelques jours, tu commenceras à t’entraîner pour devenir un combattant. »
Il s’apprêtait à retourner dans la grotte, quand
il s’arrêta.
« J’ai vu ta mère. Elle t’embrasse. »
Nathanaël arriva le
lendemain, l’air aussi perdu que Judas le premier jour. Il était plus grand, plus
costaud, et avait une incisive fendue en son milieu. Ses cheveux blonds lui
retombaient en masse sur les épaules. Les jeunes l’accueillirent avec méfiance,
et Judas, trop content de faire comme eux, lui tourna lui aussi le dos. Le
nouveau venu s’assit sans rien dire dans leur dortoir.
Le soir, la partie d’osselets avait commencé
sans Judas, de corvée de feu. Le nouveau vint près du foyer et lui adressa un
timide sourire en tendant ses mains à la flamme. Judas, qui ne redoutait rien
plus que l’heure grise des chauves-souris, se sentit l’envie d’échanger
quelques mots quand l’autre fit un geste stupéfiant : il sortit de son sac
un rouleau de textes et commença à lire. Judas s’approcha.
« Qu’est-ce que c’est ?
— La parole de Dieu.
— Mais c’est en hébreu ?
— Oui.
— Et tu comprends ? À la kenesset, je
n’y comprenais rien.
— Ce n’est pas difficile. Mais il faut
apprendre.
— Comment sais-tu ?
— Mon père était rabbin.
— Où ça ?
— À Askélon. Au bord de la mer, vers le
sud.
— Ah bon… »
Le nouveau avait une voix douce et répondait
avec gentillesse. De tout le groupe, rares étaient ceux qui savaient lire ou
écrire. La plupart étaient d’origine modeste, et seuls quelques scribes et un
ou deux lévites, membres de ce bas clergé à qui étaient confiées les tâches
ingrates, avaient reçu une éducation poussée.
« Comment tu t’appelles ?
— Nathanaël.
— Moi, c’est Judas. Je viens de Galilée. Mon
père s’est battu avec Juda le Gaulanite. Je suis venu avec Barabbas. »
Les yeux de Judas ne quittaient pas le rouleau
que tenait Nathanaël.
« Ça raconte quoi ?
— C’est l’histoire de Noé, et comment il
a sauvé la terre pour la remettre à Dieu. C’est un peu comme notre histoire à
nous, ici… Écoute. »
Il lui lut un passage. Sa voix était chaude, et
il déchiffrait sans peine, n’ayant de difficultés parfois qu’à traduire pour
Judas l’hébreu en araméen.
« C’est beau. Mais ça sert à quoi ? demanda-t-il.
— À comprendre tout.
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