Le Baiser de Judas
vérité des Romains n’est
que leur droit à nous exploiter. C’est à toi de choisir. »
Pourtant, il
arrivait que Judas se mette à douter. Un jour qu’ils rentraient d’une réunion
houleuse, il en parla à son compagnon.
« N’as-tu pas peur que nous leur
imposions à notre tour nos idées ? Nous les forçons à une libération qu’ils
ne désirent pas. C’est aussi une forme d’oppression.
— Pourquoi ? Nous sommes des guides,
et nous montrons la bonne route.
— Comment peux-tu être sûr que cette
route soit la bonne, et qu’elle mène à la vérité ? D’autres avant toi se
sont trompés.
— Leur égarement ne doit pas me faire
douter. Je suis sûr que Dieu est à nos côtés : tous les textes le disent.
— Mais si notre révolte était une impasse,
comme celle de Juda ? Que faudrait-il faire ?
— Réaffûter nos épées. »
Nathanaël rit. Judas réalisa soudain que son
ami n’était qu’un bloc, que les doutes qui le hantaient parfois n’avaient pas
de prise sur lui et que ce qu’il avait pris pour de l’irrésolution était refus
de la violence mais non absence de conviction. L’apparente passivité de
Nathanaël n’était que le fruit d’une certitude inébranlable. Il ne sut pas
décider si c’était une chance ou un handicap.
Quand il était au
camp, Judas continuait de s’entraîner. Il était devenu particulièrement habile
au couteau et réussissait maintenant à ouvrir les poupées de son d’un seul coup,
obligeant les novices à les recoudre indéfiniment. À chaque fois, il pensait au
collecteur qu’il avait eu tant de peine à tuer, et revivait la scène en l’enjolivant.
Barabbas s’absentait de plus en plus souvent. Il
lui arrivait de pousser jusqu’à Chorazim et de lui ramener des nouvelles de
Ciborée et d’Hannah. La frustration de ne plus voir les siens taraudait le
jeune homme, qui était maintenant là depuis six mois et n’avait participé qu’à
une seule vraie action.
Il grandissait beaucoup, semblant rattraper d’un
coup son retard de croissance. Un soir, trois combattants l’emmenèrent à Emmaüs,
sous couvert d’une mission de ravitaillement. Ils burent et le conduisirent
dans une maison dont il ne garda qu’un souvenir confus. Deux filles, deux
grosses femmes aussi âgées que sa mère, apparurent. L’un après l’autre, ses
amis passèrent avec elles derrière une tenture rouge d’où lui parvenaient des
rires qui, déformés par l’ivresse, prirent une ampleur énorme. Il finit par s’endormir,
et se réveilla à plat ventre sur le dos de l’âne qui les ramenait.
Quand Barabbas revint, ce fut pour leur
proposer autre chose.
Il avait réuni une
dizaine d’hommes. « Depuis quelque temps, j’ai beaucoup arpenté ce pays. »
L’autorité de sa voix évoqua à nouveau à Judas l’image de Simon.
« Certains d’entre vous se demandent sans
doute le but réel de notre présence ici. Depuis six mois, nous nous sommes
entraînés et endurcis, dans des conditions difficiles. La plupart d’entre vous
sont prêts, et de nouvelles recrues arrivent régulièrement. Nous ne pouvons
toutes les engager à nos côtés, mais certaines nous aident utilement depuis les
villages où elles sont retournées. Il faut maintenant frapper un grand coup. Nous
avons déjà volé l’impôt. Désormais, nous pouvons voir plus loin. Annonçons aux
Romains que leur règne sur cette terre prend fin, et procurons-nous ce qui nous
manque encore. Nous allons attaquer le dépôt d’armes de Jéricho. »
L’exaltation s’empara de tous les hommes
présents, pourtant stupéfaits par l’audace du plan annoncé. Ils n’avaient
encore jamais osé s’approcher de Jéricho, la plus grande cité de la région, carrefour
de négoce, lieu de villégiature.
« Voici comment nous allons procéder. »
Judas serait mort de ne pas être choisi. Quand il apprit qu’il faisait partie
du premier groupe, celui qui devait directement attaquer le dépôt, il éprouva
une joie intense. Nathanaël en revanche était cantonné aux opérations de guet :
était-ce le prix à payer pour avoir imposé ses visites nocturnes aux villages ?
L’opération eut lieu deux jours plus tard, à
la nuit. Les hommes avaient décidé de se rendre séparément à Jéricho. Chacun d’entre
eux connaissait son rôle, et chacun s’était occupé de faire passer ses armes en
les dissimulant sur lui ou dans les sacs que portait un âne. Judas songea
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