Le Baiser de Judas
pas et faillit lui tirer
dessus. Barabbas n’osa lui reprocher ce geste, que tous en leur cœur
approuvaient. Il exigea simplement que le corps soit enterré suffisamment loin
de leur cachette pour que des chacals ne puissent pas, en le déterrant, les
faire repérer.
Judas reprit avec
Nathanaël ses tournées dans les villages. Un jeune homme, Aaron, venait
régulièrement avec eux. Il avait quatorze ans, comme Judas, et un visage très
poupin que la barbe n’arrivait pas encore à ombrer, ce qui le désolait et lui
faisait en activer la pousse en coupant le peu qui dépassait avec son couteau, il
prenait son rôle très au sérieux, réfléchissant soigneusement avant de répondre.
L’histoire du coup de main contre le dépôt d’armes de Jéricho s’était répandu, et
ils étaient accueillis partout avec une sympathie grandissante. Il leur fallait
pourtant prendre de plus en plus de précautions. La pression romaine s’était
renforcée. Les soldats tombaient sur les villages, cherchant des indices de
complicité avec les révoltés. Et les hommes entendirent dire que, par endroits,
certains se mettaient à parler à l’envahisseur. On vit des misères s’éteindre, des
chômeurs trouver du travail, des greniers se remplir à nouveau…
Ce jour-là, l’ambiance avait été houleuse. C’était
leur troisième visite à Sayed, un bourg plutôt riche, proche de la route qui
allait de Béthel à Éphrem, et très fréquenté par des marchands. Le représentant
de ces derniers, un nommé Apema, devint agressif.
« Pourquoi te suivrions-nous ? Qu’avons-nous
à faire de cette liberté que tu nous promets ? Je ne me sens pas enchaîné,
moi. Je mange à ma faim, et j’ai de quoi profiter de la vie.
— Mais quelle valeur cela a-t-il sur une
terre promise à Dieu et occupée par des usurpateurs ? »
L’argument était généralement porteur : invoquer
Dieu mettait fin à beaucoup de débats, personne n’osant réellement avouer l’indifférence
qu’ils étaient quand même quelques-uns à éprouver à son égard.
Apema osa pourtant.
« Si Dieu était à ce point mécontent de
la présence des Romains, Il les aurait déjà délogés. N’a-t-Il pas ouvert la mer
Rouge pour aider Moïse à fuir ? »
La démagogie de cette référence était évidente,
et pourtant Judas sentit qu’Apema avait gagné le cœur de la foule. Toutes ses
remarques se heurtèrent alors à un mur de scepticisme. Apema entretenait le feu,
mais d’autres le suivaient. Quand le marchand fit valoir le danger que la
présence des deux révoltés faisait courir au village entier, ils sentirent qu’il
était vraiment temps de partir. Devant son succès, le boutiquier s’enhardit.
« Et ne revenez pas, ce n’est pas la
peine. Vous n’êtes pas souhaité ici, et vous n’y avez pas d’amis. »
Nathanaël parut encore plus affecté que Judas
de ce retournement.
Ils en parlèrent
longuement, une fois de retour dans leur grotte, se sentant prisonniers de leur
promesse de ne plus retourner deux soirs de suite en tournée pour limiter les
risques d’être pris.
Judas alla immédiatement se confier à Barabbas.
« Tu sais, pour la première fois, nous
avons été mal reçus. »
Il parlait à son chef avec une confiance
grandissante, et Barabbas avait perdu de sa morgue pour l’écouter attentivement.
« Tu ne pouvais espérer que tout le monde
te comprenne. »
Deux nuits plus tard, alors qu’il était
assoupi, il sentit une main le secouer. Il s’éveilla, prêt à frapper, quand il
reconnut Nathanaël. Son ami était bouleversé.
« Viens. »
*
* *
La sentinelle les
laissa passer. Une fois dehors, Nathanaël indiqua où ils allaient.
« Suis-moi.
— Pourquoi ? Il s’est passé quelque
chose ?
— Ils ont tout détruit à Sayed. Je ne
comprends pas. Il faut aller voir.
— Aller à Sayed ? Mais c’est à deux
heures de marche. Personne n’est au courant. Là-bas, ils dormiront. Tu es fou !
— Non, ils nous attendent. Tu te souviens
de Sophonie, la petite jeune fille, celle qui vit avec le charpentier ? Elle
m’a parlé cette après-midi, me demandant de passer. Il faut y aller. »
Nathanaël se pressait et rien visiblement ne
pourrait l’arrêter. Ils arrivèrent à Sayed deux heures plus tard. Judas avait
un point de côté et soufflait. Il avait durant le trajet à peine mieux compris
ce que Nathanaël lui racontait. Barabbas serait venu terroriser le village,
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