Le Baiser de Judas
qu’il
serait plus intelligent d’en cacher chez des sympathisants qui serviraient de
relais.
Ils virent la ville de loin, qui jaillissait
du désert dans une explosion de palmiers et de grenadiers. Un vent frais venu
de l’est y tempérait la chaleur, faisant de la région de Jéricho l’une des plus
agréables de Palestine. L’entrepôt était à deux pas d’une garnison romaine. Deux
hommes le gardaient à l’extérieur, sans doute des Syriens à voir la manière
gauche dont ils portaient l’uniforme. Les légions des confins de l’Empire
laissaient parfois à désirer. Barabbas croyait savoir qu’ils étaient trois à l’intérieur.
De leur côté, les rebelles étaient six.
Judas, extrêmement nerveux tout le long du
chemin, se sentait maintenant d’un calme à toute épreuve. Barabbas lui avait
délégué la tâche la plus importante : s’avancer suffisamment prêt et
suffisamment vite de l’entrée pour éliminer les deux sentinelles extérieures.
Il serra son couteau entre ses doigts.
La ruelle était déserte. On apercevait un peu
plus loin les premiers palais en marbre que les riches Romains s’étaient fait
construire et qu’Archélaüs et Hérode avaient développés suivant l’exemple
initié par Cléopâtre, qui avait obtenu la ville des mains d’Antoine.
« C’est l’arbre qui est là. »
Un sycomore se dressait à côté de l’entrée. S’il
arrivait à monter dessus, Judas pourrait sauter sur les deux sentinelles avant
qu’elles n’aient le temps de donner l’alerte.
Le jeune homme n’avait pas bien compris
pourquoi Barabbas l’avait choisi. Avait-il confiance en la sûreté de son coup
de couteau ? Ou voulait-il se l’attacher ? Judas se sentait depuis
quelques semaines l’objet d’une attention toute particulière de la part de son
chef, et il était suffisamment lucide pour savoir que ce n’était pas dû à ses
seuls talents. Il avait même senti un peu de jalousie parmi ceux qui étaient
arrivés dans le groupe en même temps que lui.
Il rampa vers l’arbre, sans faire aucun bruit,
la tête vide. Sa tunique grise se confondait avec la terre. Quand il jeta un
coup d’œil vers la porte, il lui sembla que les deux soldats somnolaient.
Au bas du tronc, il se redressa et commença à
grimper. Les prises étaient solides, les branches faciles à attraper. Déjà la
ramure gênait sa progression. Arrivé à mi-hauteur, il écarta des feuilles de la
main, craignit d’avoir fait trop de bruit.
La branche la plus proche du bâtiment tenait
ferme sous son poids. Il n’entendait plus que le battement sourd de son sang à
ses oreilles.
Les deux soldats étaient immobiles. À un mètre
d’eux, il repéra l’endroit où il devait frapper.
Et sauta.
D’un geste, il atteignit le premier à la gorge,
tranchant sa jugulaire qui se mit à cracher de longs jets écarlates. Puis il
plongea le couteau dans les entrailles du second, juste sous la cuirasse. L’homme
gémit. Il ressortit son arme et la lui planta dans le cou. L’affaire n’avait
pas duré cinq secondes. Les deux hommes tombèrent à ses côtés, leur sang bu
immédiatement par la terre avide. Un immense sentiment de bonheur l’envahit. Les
traits crispés de Joël fondirent dans sa mémoire. Ainsi donc, tuer pouvait
aussi être cette joie sans tache…
À peine les deux hommes s’étaient-ils écroulés
que Barabbas et ses trois complices s’élancèrent. Ils atteignirent la porte, et
y frappèrent. Isaac usa à nouveau de son latin sans accent, et elle s’ouvrit.
Aucun des soldats romains n’eut le temps de
réagir.
D’un coup de couteau, de deux flèches, ils
furent abattus. Barabbas cracha sur les cadavres.
« Voilà les maîtres du monde. »
Il fallait faire vite. Une charrette de foin, conduite
par Jérémie, entra dans la cour. Les autres avaient commencé à sortir les armes
de l’entrepôt, et les cachaient dans le fourrage. Il y avait des glaives, des
pilums, des couteaux…
La lune se dévoila, jetant sur leur victoire
une lueur laiteuse. De la cabane des soldats s’élevait l’odeur de brûlé de la
soupe qu’ils étaient en train de faire cuire.
La charrette remplie sortit.
« Judas, reste avec moi. Nous mettrons le
feu dès qu’elle sera suffisamment loin. »
Judas regardait le profil de Barabbas, immobile.
Le chef dégageait une impression de force, de solidité devant laquelle il se
sentit soudain tout petit. Et il fut pris d’une immense reconnaissance
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