Le Baiser de Judas
avait
acquis une autorité morale sur ses compagnons dont il n’usait qu’avec
parcimonie. Sa prise de position n’en avait que plus de force. Plusieurs
regards hésitants se portèrent vers Barabbas qui bouillait visiblement d’être
ainsi mis en difficulté par un gamin. Mais il se contenait.
« Nous travaillons pour Dieu et pour les
Juifs, continua Nathanaël. Comment faire sans les associer à cette libération, sans
leur faire comprendre nos motivations ? Ils sont inertes pour le moment. Parce
qu’ils ont été brisés par la répression contre Juda, mais aussi parce qu’ils ne
savent pas exactement pourquoi nous nous battons. Si nous ne les préparons pas
au changement, ils ne pourront nous aider, et s’arrêteront à des prémices qui
peuvent être douloureuses. »
Barabbas sentait que le vent était contre lui.
Furieux qu’un autre que lui ait pu imposer une décision, il était aussi
suffisamment intelligent pour savoir quand il avait tort. Et l’idée de
Nathanaël n’était de toute façon pas mauvaise, tant du moins qu’elle ne mettait
pas en cause ce qui pour lui restait le seul moyen utile de se battre : faire
du mal à l’adversaire.
Judas accepta
évidemment d’être de la première expédition de Nathanaël, même si Barabbas
hésitait à laisser partir deux soldats aussi brillants que l’un l’était et que
l’autre promettait de le devenir. Ils s’en allèrent en fin d’après-midi. Deux
autres jeunes recrues les suivirent.
« Quand reviendrez-vous ? demanda
Barabbas.
— Avant qu’Élie redescende du ciel, rassure-toi »,
rétorqua en plaisantant Nathanaël.
Deux heures de marche les amenèrent à Éphrem, que
Nathanaël avait choisi car il y avait des amis prêts à le recevoir. Le soir
était frais, et ils rirent tout le long de la route, heureux d’échapper à l’emprise
du groupe et de son chef.
Un ami de Nathanaël les attendait. À la porte
de sa maison, ils s’entourèrent de leurs keffiehs, ne laissant passer que leurs
yeux, entrèrent dans une pièce, où les attendaient déjà une bonne vingtaine de
personnes, et furent présentés aux dirigeants du village. Un morceau d’agneau
aux herbes, qu’ils eurent beaucoup de mal à manger en glissant la main sous le
tissu, les attendait. Puis Nathanaël commença à parler.
« Nous représentons un groupe d’hommes, qui
refusent de se soumettre à l’autorité romaine. Nous leur avons déjà porté un
coup en volant au percepteur ce qu’il vous avait pris. »
L’aveu ne provoqua guère que sympathie, et
Judas, d’un coup, eut envie d’arracher son voile.
« Nous allons multiplier ces actions, et
nous sommes venus vous expliquer pourquoi. La puissance romaine nous écrase
depuis soixante-dix ans. Elle bafoue Dieu. Vous le voyez partout : même
nos rois construisent des théâtres et des stades. Même les prêtres du Temple
collaborent avec l’occupant. Mais cela ne va pas durer. Nous savons que le
messie doit venir délivrer la terre d’Israël et restaurer le royaume. Nous ne
pouvons pas attendre sans rien faire. Nous voulons harceler les Romains, leur
faire sentir qui nous sommes. »
Les auditeurs réagissaient à peine. Des
prêcheurs, des libérateurs, ils en voyaient régulièrement, et chacun finissait
de la même manière : lapidé ou sur une croix. Nathanaël sentit leur
réticence et décida de leur parler plus directement.
« Cette tâche, nous ne pouvons l’accomplir
seuls. Il nous faut de l’aide, des relais, des gens capables de nous cacher, de
nous donner à manger, de dissimuler nos armes et notre argent. Ces gens-là, nous
les trouverons parmi vous. »
L’attention se fit alors plus soutenue.
« Cette aide, vous nous la donnerez si
vous le voulez. Nous ne l’exigerons pas de vous, et nous ne nous en prendrons
qu’à ceux qui aideront nos ennemis. Autrement dit, nous vous permettons la
neutralité, mais pas la traîtrise : nous saurons nous montrer impitoyables
avec ceux qui nous vendront. »
Judas était bien convaincu que Barabbas n’aurait
jamais accepté une présentation aussi ouverte des choses.
« Mais il nous faut votre aide. Je suis
venu vous la demander. Notre action vous causera sans doute des problèmes. Les
représailles romaines seront réelles, et votre tranquillité au moins sera
perturbée. Vous voyez, je ne vous cache rien. Mais la perte de cette
tranquillité ne sera qu’une première étape. Quand le messie arrivera, quand
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