Le Baiser de Judas
peu du poids qui lui pesait dessus. Le lendemain, il fêta ses treize ans.
L’argent servit à acheter de quoi fabriquer
des armes. Dans une grotte, ils installèrent une petite forge et un soufflet
pour fondre des poignards et des glaives. La chaleur y était insoutenable au
point de ne pouvoir y travailler que quelques heures par jour. Mais chacun eut
de quoi se défendre.
Judas connut alors un sentiment d’accomplissement
comme jamais encore. Dans le regard des autres, il lisait son acceptation, et
eut l’impression, qui allait le griser, de faire partie d’une communauté. La
vie du camp lui apparut plus belle, plus accueillante. Il sentit la sincérité
de ceux qui l’entouraient, comprit la claire conscience qu’ils avaient de leurs
buts et des moyens dont ils disposaient pour les atteindre, goûta la confiance
liant tous les membres de la troupe. Pour la première fois, il se sentit
invincible.
*
* *
Nathanaël prit
rapidement sur le groupe un ascendant étonnant de la part d’un élément aussi
jeune et d’apparence aussi fragile. Sa capacité à lire et à raconter des
histoires, activité à laquelle il consacra de plus en plus de soirées, lui
acquit la sympathie de tous, et son intelligence le fit remarquer des
responsables. Tous, très vite, avaient oublié son âge, et Judas était partagé
entre la fierté d’être son ami et un soupçon de jalousie quant à la place qu’il
prenait.
Le premier accrochage entre lui et Barabbas
eut lieu quand il émit l’idée qu’il ne fallait pas seulement combattre les
Romains. Il dit cela un soir, alors que les hommes s’apprêtaient à se régaler
de deux chèvres sauvages capturées la veille. Ils s’assirent en rond autour du
feu, et c’est là que Nathanaël prit la parole.
« Nous avons porté un coup aux Romains. C’est
bien. Mais je ne crois pas qu’il faille se limiter à ce genre d’actions. »
Barabbas rugit.
« Et pourquoi ?
— N’es-tu pas conscient de notre
faiblesse militaire : nous n’avons pas, à part ces grottes, d’arrière-pays
difficile à conquérir, comme ont pu l’avoir les Bretons ou les Germains, et
nous sommes coincés entre deux immenses provinces romaines, l’Égypte et la
Syrie. Ce que nous faisons ne sert à rien si nous ne tentons pas en parallèle d’éduquer
les gens d’ici.
— Que veux-tu leur apprendre ? Il
faut se battre, et expulser les Romains. C’est tout. »
Barabbas pensait avoir clos la conversation. Mais
Nathanaël s’entêta, créant chez les rebelles une vraie surprise. Le cercle se
fit plus attentif.
« Nous devons expliquer notre action. Elle
aura pour tous les villages alentour des conséquences : leur vie deviendra
plus compliquée, les contrôles seront plus fréquents, les Romains plus présents,
et les familles de ceux qui sont ici souffriront sans doute de nos actes. Si
nous n’expliquons rien, nous pouvons parfaitement braquer les habitants contre
nous. Ce serait à la fois injuste et immoral. Et nous multiplierions les
risques de trahison. »
Un murmure approbatif se fit entendre.
« Si nous allions de temps en temps leur
parler, je pense qu’ils comprendraient mieux.
— Et tu crois qu’ils ne nous
reconnaîtraient pas ? C’est ça que tu appelles limiter les risques de
trahison ? »
Barabbas s’esclaffa, convaincu d’entraîner ses
partisans avec lui. Mais il n’en obtint que quelques ricanements.
« Nous pourrions au début nous dissimuler
derrière nos keffiehs. L’important est qu’ils entendent ce que nous avons à
leur dire. Nous saurons rapidement si nous sommes acceptés ou non. »
L’accord du groupe semblait évident. Barabbas
tenta une dernière manœuvre de diversion en faisant mine de céder.
« Nous pourrons en reparler. En attendant,
amenez ces chèvres, et mangeons. »
Nathanaël s’obstina.
« Je préférerais que nous en parlions
avant de nous amuser. Nous ne le ferons que de meilleure humeur ensuite. Puisque
j’ai l’impression que nos camarades sont d’accord, je propose de monter un
groupe qui ira dans les villages expliquer ce que nous faisons, en même temps
que tu continueras de harceler les Romains, action dans laquelle, d’ailleurs, je
suis tout à fait prêt à te suivre.
— Cela me paraît une bonne idée. Si tout
le monde est d’accord, pourquoi ne pas essayer ? »
Il avait fallu du courage à Ézéchiel pour
prendre la parole. Survivant lui aussi de l’aventure du Gaulanite, il
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