Le Baiser de Judas
le
soulèvement sera prêt, alors vous serez payés de vos efforts. »
Les auditeurs ne semblaient encore guère
enthousiastes. Nathanaël jeta un coup d’œil un peu inquiet à Judas.
« Si je suis venu vous voir, reprit-il, ce
n’est pas pour vous effrayer, mais pour savoir ce que vous attendez de nous. Si
nous voulons que notre action soit utile, il faut qu’elle corresponde à ce que
vous en attendez. Nous sommes venus aussi pour parler de vous, de ce que l’occupation
vous fait subir, et voir ensemble ce que nous pouvons faire de plus utile et de
moins dangereux. »
Alors un homme assez âgé se leva, et emporta
avec lui tous les récalcitrants. Plus tard, Nathanaël et Judas apprirent que c’était
le rabbin.
« Je vais vous raconter comment nous
vivons. » Il parla pendant une heure, décrivant les multiples vexations
que subissait le village, les impôts à payer, la loi des « un mille »,
les dieux païens dont les statues se dressaient en ville, la faim, la peur de
manquer… Plus il parlait, plus les gens s’enflammaient. Chacun avait une
anecdote à raconter, une rancœur à évacuer, parfois un simple ragot à lancer. Ils
leur parlaient de ce qu’ils vivaient, racontaient les abus des gros
propriétaires qui forçaient des métayers exploités à s’en prendre aux ouvriers.
Ils leur parlaient de ces jeunes qui traînaient désœuvrés dans les villages en
attendant une hypothétique embauche, des impôts qui les pressuraient tant qu’ils
étaient forcés d’emprunter et devenaient esclaves de leurs créanciers. Aucun ne
semblait hostile, aucun ne se désintéressa de la discussion. Elle se termina
tard dans la nuit, quand ceux qui devaient emmener leurs animaux paître tôt le
matin décidèrent d’aller se coucher. Nathanaël et Judas partirent heureux. Ils
revinrent au campement à l’aube. Barabbas, à qui ils avaient rêvé de raconter
leur succès, était parti dans la nuit.
CHAPITRE 6
Ce furent sans doute les jours les plus
heureux que vécut Judas dans la troupe de Barabbas. Deux ou trois nuits par
semaine, il allait dans un village avec Nathanaël et un autre de ses compagnons
pour expliquer leur mouvement. Là où Barabbas n’avait fait miroiter que l’action,
Nathanaël ajoutait le poids de la réflexion et l’idée de reconstruire après
avoir détruit.
L’accueil était généralement bon. Le bruit que
des hommes se déplaçaient pour discuter s’était répandu dans la région, au
risque de rendre leurs réunions dangereuses.
De plus en plus de gens venaient aux réunions.
Les questions les plus diverses leur étaient posées. Un homme leur demanda un
jour ce qu’il y avait au bout de la terre. Un autre voulut savoir si des anges
combattaient aux côtés des rebelles. Certains, ensuite, décidaient de les
suivre. Ézéchiel, qui prenait les commandes du groupe quand Barabbas était
absent, se fâcha le premier jour où ils rentrèrent avec deux jeunes gens.
« Croyez-vous que nous pourrons ainsi
supporter l’afflux de n’importe quelles recrues ?
— Nous n’aurons jamais trop de monde pour
nous battre, répondit, impétueux, Judas.
— Et qui te prouve que les Romains n’ont
pas placé des hommes à eux parmi ces nouveaux ? »
Judas ne sut que répondre.
« Parce que cela voudrait dire qu’ils
savent qui nous sommes, où nous devions venir et que le bruit de nos réunions
leur est venu aux oreilles, précisa à sa place Nathanaël. Je n’y crois pas. Pas
en tout cas au point de refuser ceux qui veulent venir nous rejoindre. »
Il y avait dans ces entrevues nocturnes des
moments de grâce, de chaleur, qui les changeaient agréablement de l’atmosphère
rude et virile des grottes. « Pourquoi vivre si ce n’est pour ceux qui ne
vivent pas ? » murmura un soir Nathanaël à Judas.
Ils s’étaient presque habitués à cette
harmonie quand, par endroits, des tensions se firent jour. Certains villageois
se montrèrent plus obtus, incapables de dépasser leurs petits intérêts. Cela
faisait bouillir Judas, qui serait presque devenu agressif. Nathanaël, lui, restait
toujours aimable et attentif, même quand les arguments qu’on lui opposait ne
révélaient que cupidité.
« Vous nous dites que vous êtes pour que
Dieu puisse revenir en Israël. Les Romains disent qu’ils nous apportent la
civilisation. Qu’est-ce qui est vrai ?
— Rien si tu raisonnes comme cela. Il ne
peut pas y avoir de vérité commune à nous et à eux. La
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