Le Baiser de Judas
bloc, et elle est
aveugle. Que les gens pensent librement autour de toi ne pourra que servir la
cause, au risque d’écorner ton petit pouvoir.
— Notre seul devoir est d’utiliser toutes
les armes en notre possession pour n’être pas stupidement vaincus. Les
individus ne comptent pas tant que l’autorité de ceux qui veulent le changement
est respectée. »
Puis il s’adressa à Judas.
« Il n’est plus temps de conquérir par la
parole seulement. Tu y excellais, et Nathanaël aussi. Vous avez poussé des gens
à nous rejoindre, et c’est très bien ainsi. Mais cela ne pouvait suffire. Nous
sommes des guerriers, pas des prêcheurs.
— Mais nous combattons nos ennemis, pas
nos amis, répondit Judas. Vole ce que tu veux aux Romains, mais ne va pas le
prendre à ceux qui nous aident. C’est… c’est injuste.
— Judas… Tu es jeune et encore naïf. J’aime
cela chez toi, mais il va falloir que tu mûrisses. Que crois-tu que vont faire
ceux qui, comme tu le dis, sont nos amis ? Dès que nous connaître
deviendra trop dangereux, ils se tourneront à nouveau vers ceux qu’ils
craignent. Il faut maintenant que nous nous les attachions également par la
peur, par le sentiment que leur devoir est aussi leur intérêt. Ils n’en seront
que plus fidèles. Nous ne luttons pas avec des mots, mais avec des armes. Dans
les villages, même dans ceux que vous avez visités, les actions des Romains ont
laissé leurs traces. Partout, certains se demandent s’ils ne seraient pas mieux
du côté du pouvoir. Il faut leur montrer que non, et il n’y a qu’un moyen de le
leur montrer. Rien ne s’obtient par la confiance, mais tout par la peur. »
Le ton de Barabbas était sans réplique.
« Nous allons couper à la base l’envie
que pourraient avoir certains villages de se détourner de nous. Nous allons
démarrer de nouvelles actions, et je compte sur toi Judas. »
Il s’arrêta un instant, ignorant délibérément
Nathanaël.
« Il faut tuer les collaborateurs. Il
faut faire suffisamment peur aux villageois pour qu’ils n’aient pas d’autre
choix que de nous aider. Il faut brûler leurs maisons, emmener leurs bêtes… Ils
doivent être pour nous comme des étrangers.
— Mais tous ceux qui nous ont aidés
jusque-là, que vont-ils penser ? Ils nous détesteront tout autant qu’ils
détestent les Romains.
— Je ne me bats pas pour qu’on m’aime, mais
pour gagner. Oui, ils nous détesteront. Et après ? Quand nous serons les
plus forts, crois-moi, ils nous aimeront à nouveau. »
Ce cynisme mit Judas très mal à l’aise.
« Je ne peux pas être d’accord avec toi, intervint
Nathanaël. On ne libère pas les gens en commençant par les enchaîner.
— Et comment le fait-on ? En leur
offrant un cadeau dont ils ne sauront pas profiter ? Arrête de rêver, Nathanaël.
Ta jeunesse est charmante : n’en fais pas une faiblesse. Je ne t’interdis
nullement de continuer tes tournées. Au contraire, il m’apparaît maintenant qu’elles
sont nécessaires. Mais elles ne suffiront pas à nous assurer la complicité de
la population. Or, c’est d’une aide réelle que nous allons avoir besoin, et pas
d’une simple sympathie. Pour lors, je me moque qu’ils nous aiment ou non. Mais
je veux qu’ils nous craignent.
— Pourquoi maintenant ?
— Parce que nous allons à nouveau lancer
des opérations nombreuses. Et pour cela, je vais avoir besoin de vous. »
Le sourire de Barabbas se fit gourmand et, malgré
lui, Judas se sentit attiré.
« Besoin de moi pour quoi ? »
protesta-t-il encore. Mais il avait déjà accepté.
« Besoin de toi pour tuer. »
Le mot plana dans la grotte, et Judas le goûta
comme une faveur.
« Il faut faire peur aux Romains et aux
villageois. Nous n’avons pas les moyens de multiplier les coups d’éclat comme
celui du dépôt. La répression est trop violente, et cela coûte trop cher en
hommes. Tu as appris ce qui s’est passé pour Simon ? »
Judas avait entendu parler par certains de ses
compagnons des ravages que cet ancien esclave royal avait causés aux riches
villas de Pérée, qu’il avait incendiées et pillées.
« Gratus est allé à sa rencontre avec les
archers de Trachonitide. Ils sont morts par dizaines, et Simon a eu la tête
tranchée par Gratus lui-même. Sa révolte, violente et spectaculaire, n’a servi
à rien. Il nous faut frapper violemment, sporadiquement, comme des moustiques
rendant la vie impossible à
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