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Le Baiser de Judas

Le Baiser de Judas

Titel: Le Baiser de Judas Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hubert Prolongeau
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ce que c’était. J’avais
vu mes parents, dans la pièce où nous vivions tous : mon père avait besoin
de le faire tous les soirs, et il obligeait ma mère. J’ai détesté mon oncle. Régulièrement,
je me suis enfuie, mais ils m’ont toujours rattrapée. À quatorze ans, j’ai
épousé le fils d’un voisin. Il s’appelait Josué. J’ai eu de la chance, il était
bon avec moi. Mais il ne l’aurait pas été que cela aurait été la même chose :
je partais pour partir. »
    Judas se sentait attendri. Marie le vit et rit :
« Ne commence pas à me faire les yeux doux, tu perdrais ton temps.
    — Mais pas du tout », protesta le
garçon, gêné d’être pris en flagrant délit.
    Elle continua avec ce sourire qui semblait l’isoler
du reste du monde.
    « C’est terrible, l’humiliation. De
toutes ces années, c’est le sentiment qui domine. Chez mes parents, on ne riait
pas tous les jours, mais j’avais l’impression d’être respectée. Après, je ne l’ai
plus jamais eue…
    — À cause des Romains, tu veux dire…
    — Non, pas à cause des Romains. Pourquoi
me parles-tu des Romains ? Ils ne sont pas pires que les autres. Qu’est-ce
que tu crois ? Que la frontière entre les braves gens et les méchants
passe par la langue ? J’ai rencontré des tas de Juifs beaucoup plus
ignobles que les pires Romains. De même que j’ai rencontré des Juifs admirables,
et qui m’ont aidée à tenir, sinon par leurs actions du moins par leur exemple.
    — Tu ne peux pas comparer. Les Juifs sont
chez eux, Dieu est avec eux. Mais les Romains…
    — Serais-tu un rebelle ? »
    Judas s’interrompit, comme s’il en avait trop
dit. Il avait de plus en plus tendance à laisser échapper ses idées dès qu’il
se trouvait en confiance, et savait qu’il devait davantage se méfier.
    « Non, je ne le suis pas. Mais je ne vois
pas ce qu’il peut y avoir de plus insupportable que l’oppression romaine. »
    La colère s’emparait de lui.
    « Et ce ne sont pas les aventures d’une
pute qui peuvent se comparer à ça. »
    Il craignit un instant sa colère à elle, mais
Marie sourit.
    « Que tu es jeune, Judas. Le mal n’a qu’un
visage, la souffrance n’a qu’une cause… »
    Elle laissa échapper un rire ironique.
    « Ce serait tellement simple si c’était
vrai. Et tu le crois, tu en es convaincu ? Regarde-toi, comme un coq en colère…
Je souhaite que la vie ne t’apprenne pas trop vite qu’elle est plus compliquée
que cela. »
    Elle lui passa dans les cheveux une main qu’il
repoussa.
    « Je ne sais ni qui tu es, ni ce que tu
attends. Mais j’ai dix ans de plus que toi, et une expérience que tu n’auras
jamais, du moins je te le souhaite. Je vais te dire ce que moi j’attends, reprit-elle
avec gravité. Pas quelqu’un qui me débarrasse des Romains ni quelqu’un qui me
débarrasse des imbéciles, ce serait trop demander de toute façon. J’attends un
homme capable d’aimer, d’aimer pour de vrai, d’aimer tout le monde, les Juifs
et les Romains, les putes et les jeunes coqs, les pauvres et les riches. Celui-là
pourra me séduire. Mais je ne l’ai encore jamais rencontré.
    — Et c’est lui qui rendra à Dieu la terre
qui est la sienne ? Comment peux-tu vivre à Jérusalem, et dire des choses
pareilles ?
    — Parce que j’ai vu passer beaucoup de
gens. L’avenir n’est pas dans les mains de rebelles braqués contre un seul
ennemi. De ces rebelles dont tu n’es pas, bien sûr, Judas. »
    Et elle éclata de rire.
    « Allons, je crois que tu ferais mieux de
rentrer. J’ai du travail. »

CHAPITRE 9
    Barabbas vint un jour à la boutique, vêtu d’un
large manteau qui dissimulait ses traits. Judas fut en le voyant immensément
heureux, ce qui lui fit réaliser à quel point il se sentait, depuis six mois, abandonné
à Jérusalem.
    « Te voilà ! » s’exclama-t-il.
    Les rides apparues nombreuses sur le front et
au coin des yeux de Barabbas le vieillissaient. Il le salua à peine, et passa
dans la pièce où était Samuel. Judas les vit parler à voix basse, sans
comprendre ce qu’ils se disaient. Il fut vexé de cet apparent désintérêt.
    « Viens. Nous allons aux bains. »
    Ils marchèrent en silence, un silence pesant
que le chef rompit enfin.
    « Comment vas-tu ?
    — Je mange correctement.
    — Mais encore ?
    — J’ai l’impression de ne servir à rien, et
Jérusalem m’ennuie. »
    Il tentait de mettre de l’ironie dans sa

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