Le Baiser de Judas
avaient
manipulés : Boetus, Varus, celui qui avait fait exécuter les deux mille
compagnons de Juda le Gaulanite, Coponius, Marcus Ambivius, Annius Rufus, Valerius
Gratus… Alors Judas explosa et se lança dans une diatribe féroce contre la
collaboration.
Amos ne répondit rien. Il se leva, livide. Jephté
tenta en bredouillant d’excuser son bouillant cousin. Mais, avant même qu’il
ait pu dire un mot, la voix douce de Bethsabée se fit entendre.
« Rassieds-toi, père. Ce jeune homme a
raison. Tu as choisi de profiter de la situation et tu as imposé à ta famille
de suivre cette voie sans qu’elle puisse dire quoi que ce soit. Je trouve cela
honteux. Parce que je t’aime, j’ai choisi de ne le dire qu’en privé. Mais ne
nous impose pas ta dignité blessée quand tu rencontres ceux qui ont su garder
la décence que tu as oubliée. »
Puis elle se rassit. Un léger hâle à ses joues
marquait seul la passion qui venait de l’animer.
Quand elle se tut, Judas sut qu’elle devait
devenir sa femme.
Il lui fut pourtant
difficile de la conquérir après cette scène. Piétinant son orgueil, il sonna
chez Amos pour lui demander la permission de la revoir et réussit à formuler sa
demande sans avoir à s’excuser. Le prêtre eut très envie de l’humilier en le
renvoyant mais ses intérêts bien compris l’en empêchèrent : se brouiller
avec Jephté aurait été maladroit. Alors il écouta le jeune homme et accepta, la
rage au cœur, sa requête.
Quand Judas put
revoir Bethsabée, il ne savait trop lequel de ses deux visages la jeune fille
allait lui montrer. Elle s’assit, humblement, les mains posées sur les genoux, le
regardant à peine. Sa mère anima la conversation avant de se retirer, laissant
toutefois avec les jeunes gens une domestique qui ne les quitta pas des yeux. Judas,
très intimidé, se demandait que dire. Il n’avait encore jamais abordé une fille
qu’il n’eût payée avant.
Il parla un peu de lui, sans cesse gêné par
les mensonges et les dissimulations auxquels il était contraint. Elle répondit
poliment, sans se livrer. Quand il entreprit d’aborder les opinions qu’elle
avait affirmées lors de cette fameuse rencontre avec son père, elle se leva et
mit fin à l’entretien.
Il se sentit découragé, mais revint. Pendant
un mois, une après-midi sur deux, bien que jamais il ne fût invité à prolonger
sa visite, il restait auprès de Bethsabée. Il parla beaucoup. Il l’accompagna
même au théâtre avec ses parents, supportant une comédie grecque obscène et une
tragédie qui chantait les exploits de dieux païens. Il l’écouta des heures
durant jouer de la kinnor et de la cithare. Un jour enfin, elle parut s’ouvrir.
Elle raconta à son tour son enfance, dans une
famille à l’époque presque pauvre. Elle raconta les conflits entre son père et
sa mère quand celui-ci voulut en finir avec cette misère et que, pauvre lévite
de province, il entreprit de monter à Jérusalem où l’encens familial allait lui
permettre de s’implanter. Elle raconta comment elle avait été partagée entre
son amour pour Amos et son dégoût devant ses compromissions. Depuis des années
déjà, elle tentait de le convaincre, mais échouait devant l’âpreté de son désir
de s’élever. Leurs relations n’étaient pas du tout ce qu’elles semblaient :
elle était, avec lui, d’une audace dont Judas avait eu une idée lors de cette
fameuse scène, et Amos éprouvait devant elle le besoin de soupeser la valeur de
ses actes. Que leur désaccord soit grandissant lui minait la vie, sans pour
autant freiner son ambition. Il espérait qu’un mariage, qui le déchirerait par
la séparation qu’il impliquait, lui permettrait aussi, confrontée qu’elle serait
à des travaux quotidiens et à la gestion d’une maison, de mettre de l’eau dans
son vin. Judas prit conscience alors qu’elle avait la première prononcé le mot « mariage ».
Elle ne quitta plus
désormais ce ton de confiance. Pour la première fois, il lui prit la main. Deux
jours plus tard, il osa frôler ses lèvres. Et, à la fin de la semaine, Jephté
vint faire sa demande. Amos feignit de la prendre en riant, mais donna son
accord. Les fiançailles devaient être célébrées une semaine après la Pâque.
Elles le furent
finalement deux mois plus tard. Judas comme Bethsabée refusèrent formellement
qu’une grande réception soit donnée et qu’y soient invités des gens qu’ils ne
souhaitaient
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