Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Baiser de Judas

Le Baiser de Judas

Titel: Le Baiser de Judas Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hubert Prolongeau
Vom Netzwerk:
pas voir. Amos fit valoir à maintes reprises à sa fille le tort
que cela pourrait lui faire, les rumeurs qui allaient courir sur les vraies
raisons de cette discrétion : elle lui répondit à chaque fois qu’elle n’en
avait cure. Il finit par céder et les fiançailles eurent lieu en plein mois de
juillet, sous une chaleur accablante. Judas n’avait invité que quelques amis. Archépios
voulut se fendre d’un discours provocant mais renonça. Amos était venu
simplement avec sa femme. Il n’apporta aucun cadeau.
    Judas se retira en fin de soirée. Pendant un
an, il n’avait pas le droit d’habiter avec sa future femme. Mais Amos, peu
pénétré de rigueur religieuse, fit comme beaucoup de parents et autorisa dès le
lendemain les fiancés à vivre comme mari et femme. Judas n’avait encore jamais
touché Bethsabée. Il eut du mal à obtenir de la voir nue, puis l’aima en
faisant plus attention à elle qu’à lui. Il s’aperçut alors qu’il était heureux.
Cette soudaine révélation, lui pour qui le bonheur n’avait jusque-là jamais été
un but, lui dont la vie n’avait été tournée que vers la haine et le désir de
voir l’ennemi foudroyé, lui fit l’effet d’une trahison. Cette nuit-là, la
première qu’il passa dans les bras de Bethsabée, il pleura sur son passé et sur
la souffrance qui l’avait accompagné comme sur des amis à jamais morts.
    Il fut heureux, et
le bonheur ne se raconte pas. Un fils, puis une fille leur naquirent. Judas
vécut terrifié toute la durée des grossesses, tant il avait vu ou entendu
parler de femmes succombant à cet état. Mais il adora d’emblée ses enfants, s’inquiétant
les premiers mois en permanence, lassant son entourage à force de vérifier dix
fois par jour que la servante avait bien enduit leurs ventres de sel avant le
bain, qu’elle avait suffisamment serré les langes pour leur interdire de bouger
bras ou jambes, ce qui les rendrait plus forts, qu’elle avait frictionné leurs
corps d’huile d’olive et de myrrhe… Il s’offrait même à le faire, faisant rire
aux larmes Bethsabée, qui n’arrivait pas à imaginer un homme s’abaissant à ces
tâches. Le jour où il acheta un agneau de l’année et l’accompagna au Temple
pour que, comme toute accouchée, elle se fasse purifier, il fut bouleversé.
    Il avait cessé de juger les gens au nom du
seul critère de leur attitude face à l’occupation romaine. Ses rapports avec
Jephté et sa famille étaient maintenant bons, et le commerçant avait beaucoup
fait pour aider le jeune ménage à s’installer. S’il méprisait toujours son
beau-père Amos, c’était autant pour son comportement général que pour ses
relations avec les Romains. Encore lui savait-il gré de son affection pour sa
fille et de tout ce qu’il tentait régulièrement pour renouer avec elle les
liens qui avaient prévalu entre eux à une époque. Bethsabée elle-même, partagée
dès son âge nubile entre son affection pour les siens et son dégoût pour les
manœuvres de son père, savait que le pire et le meilleur pouvaient cohabiter en
chaque homme. Elle avait tenté de l’apprendre à Judas.
    Cette évolution s’était faite petit à petit. Il
n’aurait su en retracer le cheminement (sans doute le scepticisme amical d’Archépios
y avait-il eu une grande part) et s’en moquait d’ailleurs. Mais il s’était
ouvert à une plus grande compréhension des choses et des êtres. De jour en jour,
il se sentait mieux intégré, sans que ce sentiment de bonheur lui paraisse
toujours agréable. Lui qui n’avait depuis son enfance vécu que dans l’inconfort
et la haine se sentait parfois dépossédé à ne plus sentir en lui le feu qui l’avait
dévoré.
    Il n’avait pas oublié les vingt-cinq premières
années de sa vie, mais il les avait mises de côté, comme un trésor caché.
    Barabbas hantait encore souvent ses pensées. Il
comprenait mieux à quel point il avait remplacé son père, même en faisant fi du
rôle qu’il avait joué auprès de sa mère. Il comprenait mieux aussi, sans pour
autant le désavouer entièrement, à quel point le chef rebelle avait été dominé
par la violence. Quand il discutait avec Archépios ou même avec Malachie, à qui
les années donnaient une réelle maturité, il restait convaincu de la nécessité
d’une révolte, et d’une révolte par les armes, mais se mettait aussi à essayer
de voir ce qui pourrait lui succéder.

CHAPITRE 13
    Les années

Weitere Kostenlose Bücher