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Le Baiser de Judas

Le Baiser de Judas

Titel: Le Baiser de Judas Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hubert Prolongeau
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sont peu généreux… »
    Judas, en souriant, partagea avec lui son pain.
    Il s’accorda une nuit de repos à l’auberge. Le
lendemain matin, il se passa sur le visage de l’eau qu’il prit à une fontaine, sous
une statue de César à laquelle des soldats avaient fait sécher leurs tuniques, et
partit vers Betharaba. La route était plus longue et plus rude qu’il ne le
pensait. Arrivé au Jourdain, il en suivit le cours lent et placide, pauvre en
eau en cette saison. Les dunes de sable qui longeaient la rivière s’élevaient
jusqu’à un promontoire. Quand il aperçut le gué, il sourit, tant la bande de
verdure semblait narguer le désert. Betharaba était un point de passage obligé
pour qui voulait traverser le Jourdain : le fleuve y était plus large que
partout ailleurs, cisaillant la plaine d’un trait bleu et vif, et les pierres
qui émergeaient étaient usées par les pieds et les sabots. Plus il s’approchait,
plus Judas discernait la richesse des espèces qui avaient poussé là comme par
effraction : aulnes, mimosas, tamariniers, fougères et roseaux s’imposaient
jusqu’au bord de la terre jaune. L’eau, avec obstination, avait creusé une
gorge, et l’on entendait de loin le bruit d’étoffe froissée de ses flots. Vers
la plaine, les cheveux blancs de l’Hermon semblaient veiller sur l’oasis et l’on
pouvait apercevoir, au pied des pentes du Moab, l’éclat d’étain de la mer Morte.
    Judas n’avait jamais noté cette affluence à
Betharaba. Une centaine d’hommes, égaillés dans une petite clairière couverte d’une
herbe qui, à cette saison, était verte, écoutaient un prophète hirsute perché
sur un rocher. Une odeur de soufre, venue des brumes de la mer salée, imprégnait
l’air.
    Le prophète était maigre, les jambes couvertes
de poil roux, la peau tannée par le soleil, vêtu comme Élie d’un court habit en
poil de chameau et d’une ceinture en cuir. « Pas un de ces prédicateurs n’est
donc capable de trouver sa propre voie », se dit Judas.
    Il trouva une place à portée d’oreille de l’orateur,
à côté d’un berger qui gardait encore sur lui l’odeur forte de ses chèvres. Il
avait vu bien des prophètes, mais aucun qui atteigne le niveau de saleté de
celui-ci.
    « Vous, engeance de vipères », cria
soudain Jean.
    L’entrée en matière était inhabituelle, mais
la foule ne semblait nullement s’en offusquer.
    « Qui vous a incités à vous soustraire à
la colère qui vient ? »
    Un cri d’enfant l’interrompit. Il regarda dans
sa direction, furieux. Sa voix s’enfla, et les invectives tombèrent.
    « Que vos actes correspondent à votre
repentir. Sincèrement. Ne cherchez pas en vous-mêmes de faux-fuyants. Ne vous
mettez pas à dire : “Nous avons Abraham pour père”, comme si cela excusait
tout. Car, je vous le dis, des pierres que voici, Dieu peut faire naître des
enfants à Abraham. Déjà, la cognée est à la racine des arbres : celui qui
ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu. »
    On entendit quelques larmes dans la foule. Le
vent, qui soufflait dans la bonne direction (le Baptiste avait-il prévu cet
effet naturel ?), portait loin la voix du prophète, dont le visage prenait
un aspect terrifiant, et la peur se lisait dans bien des traits. Dans la foule,
Judas reconnut des publicains, et deux ou trois païens, des Grecs sans doute. Si
les prêcheurs se mettaient à ne plus parler seulement pour les Juifs, Israël
allait avoir quelque peine à être restauré.
    Ce que dit Jean intéressa puis étonna Judas, plus
sensible à son argumentation qu’aux effets un peu faciles avec lesquels il
terrorisait ses auditeurs. L’idée était nouvelle, et un peu choquante : l’arrivée
du messie ne devait pas forcément marquer la revanche collective d’Israël sur
les gentils, disait-il, elle allait instaurer un régime où il ne suffirait pas
pour être admis d’appartenir au peuple élu mais de se comporter de manière à le
mériter. Mais que vaudrait alors le fait d’avoir été élu, se demanda Judas, si
n’importe qui, sur des critères que le Baptiste ne définissait pas vraiment, avait
les mêmes droits, voire pouvait supplanter des Juifs ?
    « N’attendez pas de moi des paroles qui
clament et endorment. Je suis venu vous amener l’inquiétude et l’angoisse, être
dans votre chair comme un aiguillon. Je suis venu vous réveiller, pour que vous
accueilliez celui qui viendra après

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