Le Baiser de Judas
moi. »
Parfois, il arrêtait son discours et se
mettait à crier.
« Repentance, repentance. »
Et il contemplait le ciel, sans que le soleil
le fasse ciller.
« Maître, que devons-nous faire ? s’écria
un homme.
— Que celui qui a deux tuniques en donne
une à qui n’en a pas. Que celui qui a de quoi manger fasse de même ! »
Il tendit d’un coup sa main maigre et sale
vers deux publicains et les fixa avec des yeux d’une ardeur brûlante.
« Et vous, je vous le demande, n’exigez
rien au-delà de ce qui est fixé. »
Les deux hommes baissèrent la tête, et l’un d’eux
se couvrit de poussière en se frappant la poitrine.
« Il est toujours comme ça ? »
demanda Judas à un homme qui paraissait boire les paroles du Baptiste. Même si
elle servait un discours choquant, la violence du prêcheur le ravissait.
« Tu l’aurais vu, la semaine dernière :
il a conseillé à des soldats de ne molester personne. Eux non plus n’étaient
pas contents, mais ils n’ont rien osé dire.
— Les publicains et les soldats se
combattent, ils ne se transforment pas.
— Ne va pas lui dire ça. »
« Repentez-vous au fond de votre cœur, criait
maintenant le Baptiste à la foule entière. Et ne croyez pas qu’il suffise de se
laver les mains avant le repas et de respecter le sabbat pour être à l’abri du
péché. »
Puis il s’en prit à Hérode, dont il stigmatisa
avec une rare violence les débordements. Hérodiade, femme du tétrarque après
avoir été celle de son frère Philippe, était sa cible préférée, et il n’était
pas un jour qu’il ne l’accable.
« Famille maudite, qui ne connaît la Loi
que pour mieux la violer. Qui es-tu, fornicateur, pour voler la femme de ton
frère et te pavaner à son bras ? Doublement pécheur, puisqu’elle est aussi
ta nièce et que tu as répudié pour elle ta première femme. »
C’était le moment pour lequel les gens se
déplaçaient. Les aventures conjugales d’Hérode étaient un sujet de plaisanterie
courant, mais réservé aux cercles privés. En les rendant publiques, Jean
libérait les enthousiasmes. Des « bravos », des « bien dit »
jaillissaient, qui à la fois réjouissaient Judas par ce qu’ils révélaient d’insatisfaction
et le laissaient un peu amer tant il savait combien il y avait loin de cette
effervescence à l’action.
« Qui es-tu donc pour parler ainsi ?
cria un homme.
— Je suis la voix de celui qui crie dans
le désert. Faites ce que vous dit Isaïe, et aplanissez le chemin du Seigneur. »
Quand le Baptiste se tut, la foule était
conquise. Le prophète descendit alors de son rocher. Autour de lui, plusieurs
fidèles se mirent immédiatement en position de contenir les pèlerins pour
éviter, comme cela s’était déjà produit quelques jours auparavant, qu’un
mouvement subit n’en précipite à l’eau la plupart. Même si cela n’était guère
dangereux, le ridicule de ce plongeon collectif nuisait à la solennité de ce
qui devait suivre.
Un premier homme se défit de ses vêtements, ne
gardant qu’un pagne autour des reins, puis s’avança dans l’onde. Là, il s’agenouilla.
Jean le prit par les cheveux, et lui plongea la tête dans l’eau. Derrière lui, un
deuxième et un troisième se préparaient.
« Je te baptise au nom de Dieu. Regrette
tes péchés et souhaite le bien. »
Les hommes se redressaient, trempés et
suffocants, et regagnaient la berge. La cérémonie paraissait bien prosaïque et
grossière à Judas. Il appréciait tout ce qu’elle représentait de défi au
pouvoir du Temple, mais ce n’était pas avec ces mièvreries que l’on allait
concurrencer les sacrifices d’animaux…
Il ne restait que cinq ou six hommes à
baptiser et Judas trouvait cela bien long quand le prophète soudain s’immobilisa.
Le soleil qui tombait empêchait de voir
clairement ce qui se passait, mais Judas crut deviner une silhouette que le feu
de l’astre couchant teintait de rouge.
« Voici le messager du Seigneur », cria
soudain le prophète.
Et son bras se tendit vers le nouvel arrivant.
La foule s’étonnait. Certains peinaient à
identifier celui que désignait Jean. Judas distingua son habillement, parfaitement
banal : une tunique de lin à manches longues, un grand manteau de laine
orné de houppettes et, sur la tête, un keffieh qui lui caressait les épaules.
« Celui qui vient après moi est plus
puissant que moi. Moi, je vous baptise dans
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