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Le Baiser de Judas

Le Baiser de Judas

Titel: Le Baiser de Judas Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hubert Prolongeau
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croisé. Il a passé du temps à Qumran, et il était
à un niveau qui lui interdisait de parler à des non-initiés.
    — À Qumran ? Avec les esséniens ?
    — Exactement. Il en a gardé quelques
rigidités de pensée.
    — Mais il t’a quand même reconnu comme le
messie ?
    — Pas le messie, non. Il a parlé d’envoyé
de Dieu. Mais ne sommes-nous pas tous des envoyés de Dieu ?
    — C’est quand même toi qu’il a désigné. Pas
moi, ni aucun autre de ceux qui l’écoutaient.
    — Peut-être n’aviez-vous pas assez la foi ?
Oh, regarde ! »
    Un vol de perdrix venait de jaillir devant eux.
Judas sortit sa fronde et lâcha une pierre. Un oiseau tourbillonna et s’abattit
sur le sol.
    « Joli coup.
    — J’ai eu de la chance.
    — Serait-ce moi qui te porte chance ?
    — Ça doit être cela. Sois-en remercié. »
    Leurs regards s’étaient faits acérés, cherchant
sur les pentes le gibier.
    Ils rejoignirent la plaine. Deux lapins
jaillirent sous leur nez. La première flèche de Jésus alla se planter dans la
cuisse de l’animal qui, blessé, ne put échapper à la seconde, laquelle se ficha
dans sa gorge.
    Quand les deux hommes revinrent au campement, leurs
compagnons purent vérifier que, si son séjour dans le désert avait laissé sur
le corps de l’ermite de nombreuses traces, son appétit revenait de jour en jour.
    Jésus ne commença à
parler de lui que le lendemain. Il évoqua son métier de charpentier, expliqua
comment dégrossir une pièce de bois, comment tailler les tenons dans le fil, comment
affûter une lame et découper des mortaises assorties, comment sculpter une
figure sans prendre le risque qu’elle se casse, comment équarrir une poutre ou
fabriquer un joug ou une flèche d’attelage. Ses doigts étaient marquées de
cicatrices dues à son métier… Judas l’écoutait, sentant chez le jeune
charpentier le même amour du bois que celui qu’il éprouvait, lui, pour la
glaise.
    Ils évoquèrent aussi Nazareth. Judas n’y était
allé que peu, mais comme Jésus il aimait à monter sur la colline et à jeter un
œil émerveillé sur le paysage : les damiers verts et jaunes de la plaine d’Esdrelon,
le bleu de la Méditerranée qui scintillait au loin, la tête couronnée de blanc
et la lourde croupe du mont Hermon, et, caché, le lac de Tibériade dont la
rondeur des collines et le gras de la terre rappelaient la présence.
    « Qu’y faisais-tu ?
    — J’aidais mon père à l’atelier. Mais il
était beaucoup plus doué que moi. Sans ses mains, les miennes n’étaient rien… Nous
sommes sept, cinq garçons et deux filles. Mon père était plus âgé que ma mère, mais
je crois qu’ils s’aimaient vraiment. J’étais plus proche de lui. Elle était
plus effacée, plus lointaine. Comme beaucoup de nos femmes, malheureusement. Ce
n’est pas facile pour elles de…
    — Ce ne sont que des femmes. Moi aussi, j’aimais
ma mère, mais je ne me serais pas vu lui confier des… des… »
    Il chercha ses mots.
    « Des trucs d’homme, quoi. »
    Jésus eut un sourire énigmatique.
    « Vous étiez riches ?
    — Non. Un de mes oncles a même dû
travailler comme esclave. La plupart des nôtres sont de petits propriétaires. Une
fois payé l’impôt aux Romains, la dîme aux prêtres, offert au Temple les
premiers fruits et les premiers animaux nés, il ne leur restait pas grand-chose.
Nous étions des am ha aretz comme tant d’autres.
    — Nous aussi, le coupa Judas. Et je me
souviens encore du mépris des rabbins.
    — Même Hillel a dit que nous ne saurions
être pieux.
    — Maudits prêtres ! »
    Ils s’interrompirent, et Jésus reprit.
    « J’ai eu tout petit le sentiment que j’étais
différent. Les gens autour de moi le sentaient aussi. Certains de mes frères m’en
voulaient et ont beaucoup profité de leur force. Je ne m’entendais vraiment
bien qu’avec Jacques, celui qui m’a immédiatement suivi. Ma mère a tenté de me
protéger, mais sa sollicitude me lassait. Je voyais aussi beaucoup mon cousin…
    — Le Baptiste…
    — Le futur Baptiste. Nous étions assez
proches. Puis il m’a laissé tomber. J’étais le petit, le gamin qui l’irritait. »
    Gamaliel et Josué s’étaient
vite lassés de leur invité, mais Judas semblait s’y intéresser de plus en plus.
    Le soir, Jésus s’isolait.
    « Que fais-tu tout seul ? Ton démon
revient te chercher ?
    — Non. J’en ai fini avec lui. Mais ce qui
me reste à faire

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