Le Baiser de Judas
et s’allongea sur le sable. Il resserra les pans de son
manteau, regarda un instant la lune qui, ronde, baignait le paysage de sa lueur
blanche, et s’endormit.
Il atteignit
Tibériade le soir du troisième jour. Le nom de la capitale d’Hérode, cri d’allégeance
à Rome, construite sur un cimetière, lieu impur entre tous, le mettait en
colère chaque fois qu’il était obligé d’y venir. Les petites maisons de
fonctionnaires, qui gravitaient toutes autour du palais du tétrarque, s’étaient
encore multipliées depuis son dernier passage. Il ne regarda pas même l’hippodrome
et le théâtre grec, encore moins la synagogue, où se rendait souvent le
monarque pour prier. Mais sa fureur dura moins que d’habitude tant il était
impatient de trouver un lit plus confortable que le manteau dans lequel il s’était
enveloppé ces dernières nuits.
L’auberge qu’il choisit n’accueillait guère qu’une
dizaine de clients, attablés devant des plats de figues et de poissons frits
sur un vaste feu allumé dans la cour. Des maçons, qui étaient légion dans la
ville depuis le début des travaux… Judas posa le sac qui lui sciait l’épaule, et
respira un peu. Il lui fallait maintenant retrouver Jésus, si ce dernier, comme
il le lui avait dit, était bien décidé à commencer ici son parcours.
Mais la nouvelle du jour n’était pas celle de
la venue d’un énième prédicateur. Les deux hommes attablés à côté de lui le
mirent vite au courant.
« Vous dites que Jean le Baptiste a été
arrêté ?
— Hier, oui. Cet imbécile a franchi le
Jourdain, et s’est retrouvé sur le territoire d’Hérode. Tu penses bien que le
tétrarque n’a pas laissé passer cette occasion.
— Et où est-ce qu’ils l’ont mis ?
— À Macheronte. »
Judas frémit. Macheronte défendait les confins
du sud de la Pérée contre les Nabatéens de Pétra. Point clé de la défense du
pays, c’en était l’une des plus redoutables forteresses. Il était passé devant
un jour et s’était imaginé à jamais prisonnier de cette masse de pierre dont
les tours imposantes semblaient jaillir du rocher.
Les deux hommes se présentèrent. L’un était
grec, venu d’Alexandrie, l’autre était maçon et l’avait accueilli deux mois
auparavant. D’un geste, le Grec versa une rasade de falerne à Judas, qui
commanda son repas à leur table.
« Mais comment a-t-il pu faire l’erreur
de traverser ?
— Allez savoir… La foule devenait
vraiment nombreuse. Elle a dû le pousser. Il était dans l’eau, il n’y a plus
pensé et il s’est retrouvé sur l’autre rive. La police d’Hérode était là tous
les jours à le guetter. À moins qu’il ne l’ait fait exprès parce que cela
rentrait dans un plan mystérieux. S’il doit restaurer le royaume, tout peut
être bon.
— Restaurer le royaume ? Encore
faudrait-il qu’il soit le messie ?
— Pourquoi pas ? Il n’est pas le
premier à le prétendre.
— Il ne l’a jamais prétendu.
— De toute façon, un messie en prison, ça
ne vous avance pas à grand-chose », intervint le Grec.
Le « vous » exaspéra Judas. Ces
imbéciles d’étrangers se permettaient, avec leur ribambelle de dieux bagarreurs
et ridicules, de regarder avec condescendance la foi de ses pères…
« Je crois qu’il l’a dit, reprit le maçon.
Je ne sais plus, je ne l’ai vu qu’une ou deux fois. Mais il y avait dans ses
paroles beaucoup de… choses que j’aimais bien.
— Et qu’est-ce qui va se passer
maintenant ?
— Il va rester en prison un certain temps.
Hérode lui en veut à mort, et je doute qu’Hérodiade soit tellement plus
conciliante. Et comme elle le tient par ça… »
Il s’attrapa le sexe en rigolant.
« C’est quand même dommage. Pour une fois
que quelqu’un disait des choses vraies… Qui va le remplacer ? »
Judas repartit le lendemain et prit la route
de Capharnaüm. Il se renseigna dès son arrivée à Magdala, où il eut une pensée
pour Marie : oui, un prédicateur était passé, il avait parlé la veille à
la synagogue et était toujours en ville, près du marché de l’Ouest. Judas se
pressa. Le marché battait son plein ; les étals étaient riches : épis
de maïs, cédrats, jambon, mortier de figues, plats cuisinés de mouton ou de
chèvre saupoudrés d’aromates.
« Un prêcheur est-il récemment passé par
là ? demanda-t-il à un marchand.
— Va voir là-bas, près des gens : je
crois que
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