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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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Jacob une main apaisante. La peau était chaude et granuleuse, et Noah ne put réprimer un geste imperceptible de répulsion.
    Un mépris oratoire tordait le visage de Jacob.
    –  Tu es là devant moi, dans tes vêtements américains à bon marché, et je sais ce que tu penses : « Qu’a-t-il de commun avec moi ? C’est un étranger » pour moi. Je ne l’ai jamais vu et s’il meurt, dans » la fournaise de l’Europe, quelle importance ? Des » gens meurent à chaque minute dans le monde entier. » Ce n’est pas un étranger pour toi. C’est un Juif, et le monde le persécute ; et tu es un Juif, et le monde te persécute.
    Il ferma les yeux, épuisé, et Noah pensa, une fois de plus : « Si seulement il parlait le simple langage de tous les jours, il serait possible d’être ému, affecté. » Après tout, ce père mourant, obsédé par la vision de son frère assassiné à cinq mille milles de là, cet homme seul à son moment le plus solitaire, sentant la mort lui serrer la gorge, portant le deuil de son peuple molesté sur toute la surface de la terre, était un spectacle touchant et tragique. Bien que les événements d’Europe n’atteignissent point directement Noah, il sentait, rationnellement et intellectuellement, leur poids peser sur ses épaules. Mais de longues années de la rhétorique de son père, sa perpétuelle recherche de l’effet, dans ses gestes et ses paroles, avaient mis Noah dans l’incapacité d’être ému par lui. Debout près de son lit, et regardant sa face grise, et guettant sa respiration heurtée, il ne parvenait à rien penser autre que : « Mon Dieu ! il va jouer cette comédie jusqu’à la fin ! »
    –  Lorsque je l’ai quitté, dit son père sans ouvrir les yeux, lorsque j’ai quitté Odessa en 1903, Israël m’a donné dix-huit roubles, en me disant : « Tu n’es bon à rien. Félicitations. Suis mon conseil : tiens t’en aux femmes. L’Amérique ne peut être différente du reste du monde. Les femmes y sont certainement aussi idiotes qu’ailleurs. Elles t’entretiendront. » Nous ne nous sommes pas serré la main, et je suis parti. Il aurait dû me serrer la main, quoi qu’il soit arrivé, n’est-ce pas, Noah ?
    La voix de son père était changée, soudain. Elle était faible et sans timbre et n’évoquait plus, pour Noah, la scène d’un théâtre.
    –  Noah…
    –  Oui, père ?
    –  Ne penses-tu pas qu’il aurait dû me serrer la main ?
    –  Oui, père.
     – Noah…
    –  Oui, père…
    –  Serre-moi la main, Noah.
    Au bout d’un instant, Noah se pencha et prit dans la sienne la grande main sèche de son père. La peau était écailleuse et les ongles, habituellement soignés, limés et polis, étaient longs, irrégulièrement taillés et garnis de demi-cercles noirs. Ils se serrèrent la main.
    –  Ça va, ça va… dit Jacob, soudain défiant, et retirant sa main comme à l’approche de quelque inexplicable vision. Ça va, assez !
    Il soupira, regarda le plafond.
    –  Noah…
    –  Oui ?
    –  As-tu un crayon et une feuille de papier ?
    –  Oui.
    –  Écris…
    Noah s’assit devant la table. Il prit un crayon et tira à lui une feuille de mince papier blanc de l’Hôtel de la mer, avec une reproduction d’un grand hôtel moderne, entouré de grands arbres et de vastes pelouses, sans aucun rapport avec la réalité, mais – sur le papier – convaincant et fleurant bon les vacances.
    –  Israël Ackermann, dit Jacob d’une voix d’homme d’affaires absorbé, 29, Kloster Strasse, Hambourg, Allemagne.
    –  Mais, père… commença Noah.
    –  Écris-le en hébreu, dit Jacob, si tu ne sais pas l’écrire en allemand. Il n’est pas très instruit, mais il arrivera à comprendre.
    –  Oui, père.
    Noah ne connaissait ni l’allemand, ni l’hébreu, mais il était inutile qu’il le dise à son père.
    –  Mon cher frère… Tu y es ?
    –  Oui, père.
    –  Je suis honteux de n’avoir pas écrit plus tôt, commença Jacob, mais tu ne peux imaginer à quel point j’ai été occupé. Peu de temps après mon arrivée en Amérique… Tu y es, Noah ?
    –  Oui, dit Noah en traçant sur le papier des hiéroglyphes sans signification. J’y suis.
    –  Peu de temps après mon arrivée en Amérique…
    La voix de Jacob roulait, basse et laborieuse, dan s la pièce humide.
    – Je suis entré dans une maison importante. J’ai travaillé dur, bien que tu ne le croies probablement pas

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