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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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vingt actions d’une compagnie de radioélectricité qui avait fait faillite en 1927.
    Dans le bas d’un placard, il trouva une boîte de carton. À l’intérieur, soigneusement enveloppé dans un étui de flanelle, reposait un vieil appareil photographique, modèle « professionnel », avec un gros objectif. C’était la seule chose dans cette pièce qui parût avoir été traitée avec amour et considération, et Noah fut reconnaissant à son père d’avoir été assez rusé pour la soustraire aux mains avides de ses créanciers. Peut-être suffirait-elle à payer l’enterrement. Tout en caressant le cuir usé et le verre poli de la vieille caméra, Noah pensa, fugitivement, qu’il serait bon de la conserver, de garder par devers lui cet unique vestige intact de la vie de son père, mais il savait que c’était un luxe qu’il ne pouvait pas se permettre. Il remit l’appareil dans sa boîte, après l’avoir scrupuleusement réenveloppé et cacha la boîte sous une pile de vieux vêtements, dans un coin du placard. Il gagna la porte et se retourna. Sous la chiche lumière de la lampe, le cadavre de son père avait l’air de souffrir encore. Noah éteignit la lumière et sortit.
    Il marcha lentement dans la rue. Il faisait bon marcher et respirer, après cette semaine passée dans l’atmosphère confinée de la chambre, et il respira à grands coups, emplissant ses poumons, se sentant jeune et fort, écoutant le claquement étouffé de ses talons sur le trottoir luisant. Dans la nuit déserte, l’air de la mer avait une odeur étrange et pure, et il se dirigea vers la plage, dont la saveur salée se faisait de plus en plus forte à mesure qu’il s’approchait de l’océan.
    À travers les ténèbres lui parvenait le son de la musique, croissant et décroissant au gré des caprices de la brise. Noah se dirigea vers lui et, lorsqu’il atteignit le coin de la rue, il vit que la musique émanait d’un bar dont la porte s’ouvrait sur l’autre trottoir. Des gens entraient, des gens sortaient, sous une enseigne qui disait : « Pas de supplément pour les fêtes. Passez le Premier de l’ An chez O’ Day. »
    Le disque changea sur le phonographe automatique, et une voix grave de femme se mit à chanter : Nuit et jour, vous êtes le seul, le seul sous la lune et sous le soleil ! sa voix dominait la nuit vide de sa passion puissante et modulée.
    Noah traversa la rue, ouvrit la porte et entra. À l’autre extrémité du bar, deux marins et une blonde regardaient un ivrogne affalé, avec sa tête sur le comptoir. Le barman leva les yeux à l’entrée de Noah.
    –  Vous avez le téléphone ? demanda Noah.
    –  Par ici, dans le fond.
    Le barman tendit le bras vers l’arrière de la salle. Noah se dirigea vers la cabine.
    –  Soyez polis, les enfants, disait la blonde aux deux marins. Mettez-lui de la glace dans le cou.
    Elle sourit à Noah, le visage verdi par le reflet du phonographe électrique. Noah lui répondit d’un signe de tête et pénétra dans la cabine. Il sortit de sa poche une carte que le docteur lui avait donnée. Elle portait le numéro de téléphone d’un entrepreneur de pompes funèbres ouvert toute la nuit.
    Noah composa le numéro. Il porta le récepteur à son oreille, écoutant la sonnerie insistante, imaginant, à l’autre bout du bureau, l’appareil posé sur le bureau luisant, sous la veilleuse de la permanence des pompes funèbres, en ce premier jour d’une nouvelle année. Il était sur le point de raccrocher lorsqu’il entendit une voix.
    –  Allô ! disait-elle, lointaine et quelque peu hésitante, ici, Grady, Pompes funèbres.
    – Je voudrais vous demander quelques précisions, dit Noah, au sujet d’un enterrement. Mon père vient de mourir.
    –  Comment s’appelle le défunt ?
    –  Je voudrais, continua Noah, savoir quels sont vos prix. Je n’ai pas beaucoup d’argent et…
    –  Il me faut d’abord le nom du défunt, dit la voix d’un ton officiel.
    –  Ackermann.
    –  Waterfield, répondit la voix embarrassée. Prénom, s’il vous plaît…
    Puis, dans un souffle :
    –  Gladys ! Arrête ! Gladys !
    Puis, dans le récepteur, d’une voix où tremblait un rire contenu :
    –  Prénom, s’il vous plaît ?
    –  Ackermann, répéta Noah. Ackermann.
    –  Est-ce le prénom ?
    –  Non, dit Noah. C’est le nom de famille. Le prénom est Jacob.
    –  J’aimerais, dit la voix avec une dignité éthylique, que vous parliez

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