Le Bal Des Maudits - T 1

plus clairement.
    –  Je voudrais savoir, cria Noah, combien vous prendriez pour une incinération.
    –  Incinération ? Oui, dit la voix. Nous fournissons ce genre de service à ceux qui le demandent.
    –  Quels sont vos prix ? demanda Noah.
    –  Combien de voitures ?
    –  Comment ?
    –  Combien de voitures pour le service ? demanda la voix, prononçant « cherviche ». Combien y aura-t-il de parents et d’amis ?
    –  Un seul, dit Noah. Il n’y aura qu’un seul parent.
    Nuit et jour se termina dans un grand fracas métallique, et Noah ne put entendre la réponse de son interlocuteur.
    –  Je veux que ce soit aussi raisonnable que possible, dit Noah désespérément. Je n’ai pas beaucoup d’argent.
    –  Je vois, je vois, dit l’homme des pompes funèbres. Une question, si vous le permettez. Le défunt avait-il souscrit une assurance ?
    –  Non, répondit Noah.
    –  Alors, ce sera paiement comptant, vous comprenez. Et d’avance… Vous comprenez ?
    –  Combien ? cria Noah.
    –  Voulez-vous avoir les restes dans une simple boîte de carton ou dans une urne plaquée argent ?
    –  Une simple boîte de carton.
    –  En calculant tout au plus juste, mon cher ami…
    La voix devint soudain plus assurée et parfaitemen t cohérente.
    – Ça fera soixante-seize dollars et cinquante cents.
    –  Cinq cents supplémentaires pour cinq minutes, intervint l’employée du central téléphonique.
    –  D’accord.
    Noah mit un autre nickel dans la boîte et l’employée dit :
    –  Merci.
    –  D’accord, répéta Noah. Soixante-seize dollars et cinquante cents.
    Il se débrouillerait pour les réunir.
    –  Après-demain ? Dans l’après-midi.
    Il aurait le temps d’aller, le 2 janvier, vendre la caméra et les autres objets.
    –  Prenez l’adresse : Hôtel de la Mer. Vous savez où ça se trouve ?
    –  Oui, dit la voix du pochard. Oui, je sais où c’est.
    Je vous enverrai quelqu’un demain et vous pourrez signer le contrat.
    –  O. K., dit Noah en se préparant à raccrocher.
    –  Un dernier détail, mon cher ami, reprit la voix. Au sujet des rites religieux…
    –  Oui ? Alors ?
    –  À quelle religion appartenait le défunt ?
    Jacob n’avait appartenu à aucune religion, mai s Noah ne croyait pas utile de le lui dire.
    –  C’était un Juif.
    –  Oh !
    Il y eut un silence, à l’autre bout du fil, et Noah entendit clairement la voix de la femme, incertaine et gaie :
    –  Viens donc, George, on va reprendre un verre.
    –  Je regrette, dit l’homme. Nous ne sommes pas équipés pour l’exécution des services mortuaires juifs.
    –  Quelle différence ? hurla Noah. Il n’avait pas de religion. Il n’a besoin d’aucune cérémonie.
    –  Impossible, dit la voix pâteuse, mais très digne. Nous ne nous chargeons pas des Hébreux. Je suis sûr que vous en trouverez beaucoup d’autres… Beaucoup d’autres qui seront équipés pour se charger de l’incinération des Hébreux.
    –  Mais le D r Fishbourne m’a recommandé votre maison, cria Noah, exaspéré.
    Il lui faudrait recommencer toute cette comédie avec un autre entrepreneur, et il se sentait affolé, pris au piège.
    –  Vous êtes bien dans les pompes funèbres, n’est-ce pas ?
    –  Je vous présente mes condoléances, mon cher ami, en cette heure douloureuse, dit la voix, mais nous ne pouvons absolument…
    Il y eut une brève commotion, à l’autre bout du fil, et la voix de la femme s’écria :
    –  Laisse-moi lui parler, Georgie.
    Puis elle parla d ans le récepteur.
    –  Écoutez, dit-elle, d’une voix saturée de whisky. Pourquoi vous obstiner ? On est occupés, ici. Vous avez entendu ce qu’a dit Georgie. Il brûle pas les Youpins. Bonne année.
    Elle raccrocha.
    Les mains de Noah tremblaient, et il sentait la sueur jaillir de ses pores. Il raccrocha avec difficulté. Il ouvrit la porte de la cabine et se dirigea vers la sortie, laissant derrière lui le phonographe électrique, et l’ivrogne, et la blonde, et les deux marins. La blonde lui sourit et dit :
    –  Qu’est-ce qui ne va pas, beau gosse, elle était pas chez elle ?
    Noah l’entendit à peine. Il marchait lentement, faible et las, vers l’extrémité vacante du bar et s’assit près de la porte, sur un tabouret.
    –  Whisky, dit-il.
    Il le but d’un trait, pur , et en commanda un autre. L’effet fut immédiat. La musique s’adoucit, les formes et les couleurs se