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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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lui. Pour l’amour de Dieu, Hélène, ne vous conduisez pas d’une manière aussi ridicule !
    –  Inutile de nous accompagner, dit la cadette des Boullard. Nous connaissons le chemin.
    –  Il faut que nous ayons une explication, dit Tony, la voix tremblante de colère. Nous ne pouvons traiter nos amis de cette façon.
    Il se tourna vers Michael, qui se tenait, embarrassé, contre le mince poteau du filet de badminton.
    –  C’est inconcevable, dit-il. Deux femmes que je connais depuis dix ans. Deux femmes intelligentes et compréhensives…
    Les deux sœurs se décidèrent à lui faire face, les yeux et la bouche crispés par le mépris et la haine.
    –  C’est la guerre, cette saleté de guerre, dit Tony. Hélène, Rochelle, soyez raisonnables, je vous en prie ! Ne me faites pas ça à moi. Je ne suis pas en train de prendre Paris ni de tuer des Français. Je suis Américain, et j’aime la France, et je déteste Mussolini et je suis votre ami…
    –  Nous n’avons aucun désir de vous parler, dit la sœur cadette, ni à vous ni à aucun Italien.
    Elle prit sa sœur par la main. Elles s’inclinèrent, à l’intention du reste des invités, et s’éloignèrent, élégantes et froufroutantes, avec leurs rigides robes noires, leurs longs gants et leurs chapeaux de jardin, vers la sortie de la propriété.
    Dans le grand arbre, à cinquante mètres de là, les corbeaux menaient un tapage infernal.
    –  Viens, Tony, dit Michael. Je vais te servir un verre.
    Sans un mot, les lèvres serrées, Tony suivit Michael à l’intérieur de la maison. Il tenait toujours son chapeau de paille, qu’ornait un gai ruban à rayures.
    Michael prit deux verres et versa deux larges rasades de whisky. Silencieusement, il en tendit un à Tony. À l’extérieur, la conversation avait repris, et, par-dessus le chœur des corbeaux, Michael entendit Moran qui disait, sérieusement :
    –  Elles sont épatantes. On les croirait sorties d’un film français de 1925.
    Tony buvait le contenu de son verre, à petits coups, les yeux dans le vague, emplis d’un chagrin indicible. Michael aurait voulu s’approcher de lui et l’embrasser, comme il avait vu les frères de Tony s’embrasser dans des circonstances difficiles, mais il ne put se résoudre à le faire. Il alluma la radio et but une large gorgée de whisky, tandis que le poste chauffait, avec un crépitement aigu, irritant.
    –  Vous aussi pouvez avoir de jolies mains blanches… disait une douce voix persuasive.
    Il y eut un déclic, un temps mort, et une nouvelle voix parla, rauque et légèrement tremblante.
    –  Nous venons de recevoir un bulletin spécial, dit la voix. On annonce que les Allemands sont entrés à Paris. Ils n’ont rencontré aucune résistance, et la ville n’a pas souffert. Ne quittez pas l’écoute. D’autres bulletins vont suivre à mesure de leur réception.
    Un orgue se mit à jouer un morceau sans ligne mélodique précise. Tony s’assit et posa son verre sur la table. Michael ne quittait pas la radio des yeux. Il n’était jamais allé à Pari s. Il n’avait jamais trouvé le temps ni l’argent pour voyager à l’étranger, mais en regardant, hypnotisé, la petite boîte vernie dans laquelle s’enflait la musique de l’orgue et l’écho de la voix rauque, troublée, du speaker, il brossait un tableau mental de ce que devaient être les rues de la grande cité française, par cet après-midi d’été. Les larges boulevards ensoleillés, bien connus dans le monde entier, les cafés, vides sans doute, les monuments étincelants, symboles des vieilles victoires, les Allemands défilant en formations rigides, le martèlement de leurs bottes s’en allant rebondir sur les volets fermés des maisons silencieuses. Le tableau était probablement faux. C’était idiot, mais on n’arrivait pas à imaginer les soldats allemands par deux ou par trois, autrement, en fait qu’en phalanges figées, mécaniques, rectangulaires. Mais peut-être, au contraire, parcouraient-ils timidement les rues, l’arme prête, les yeux levés vers les volets clos, se jetant, au moindre bruit, à plat ventre sur les trottoirs.
    « Seigneur, pensa-t-il avec amertume, pourquoi ne suis-je pas allé là-bas pendant que je le pouvais encore, pendant l’été de 1936 ou au printemps dernier ? On recule toujours, et voilà ce qui arrive. » Il se remémora les livres qu’il avait lus sur Paris. Les années bouillonnantes, joyeuses et

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