Le Bal Des Maudits - T 1
allongé sur le plancher, il exécuta, à toutes fins utiles, quelques exercices pour la culture des muscles de l’abdomen, amenant ses pieds au-dessus de sa tête et les abaissant lentement, trois fois de suite.
– Assez, dit-il. Je me sens déjà beaucoup plus fort. Le sexe est comme la natation. Il faut se jeter à l’eau ou se tenir à l’écart. Si tu te contentes de rester sur le bord, tu reçois des embruns, t u te refroidis et tu t’énerves. Un mois de plus avec cette jeune personne, et je te conduis au psychanalyste. Écris-le-lui, et dis-lui que c’est moi qui l’ai dit.
– Bien sûr, acquiesça Noah. Je suis en train de l’écrire.
– Si tu ne fais pas attention, dit Roger, tu vas te retrouver marié, un de ces jours.
Noah cessa de taper. Lorsqu’il s’était mis à écrire tant de lettres, il avait acheté, à tempérament, une autre machine à écrire.
– Pas de danger, dit-il.
En réalité, il y pensait fréquemment et en avait même déjà parlé à Hope, dans ses lettres.
– Ce ne serait peut-être pas une si mauvaise idée, dit Roger. C’est une fille épatante, et ça te préserverait du service militaire.
Ils évitaient de penser au service militaire. Par bonheur, le numéro de Noah était parmi les plus élevés. L’armée était lointaine, irréelle, comme un nuage noir dans le ciel de printemps.
– Non, dit judicieusement Roger, de son plancher. Je n’ai que deux choses contre elle. Premièrement, elle t’empêche de dormir. Deuxièmement, tu sais quoi. Autrement, elle t’a fait un bien énorme.
Noah jeta à son ami un coup d’œil reconnaissant.
– Tout de même, reprit Roger, elle devrait coucher avec toi.
– Boucle-la.
– Tu veux que je te dise ? Je vais m’absenter, ce week-end, et je te laisse le champ libre.
Il s’assit sur le plancher.
– Qu’en dis-tu ?
– Merci. Si l’occasion se présente, je profiterai de ta complaisance.
– Il vaudrait peut-être mieux que je lui parle, dit Roger. En ma qualité de meilleur ami soucieux de la sécurité de son camarade. « Ma chère enfant, vous ne » vous en apercevez sans doute pas, mais notre Noah » est à deux doigts de sauter par une fenêtre. » Donne-moi une pièce de dix cents. Je vais lui téléphoner sur-le-champ.
– J’y arriverai bien tout seul, dit Noah sans conviction.
– Pourquoi pas dimanche ? demanda Roger. Joli mois de juin, et , la floraison de l’été, etc.
– Pas question, dit Noah. Dimanche, nous allons à un mariage.
– De mariage de qui ? s’informa Roger. De tien ?
Noah rit jaune.
– Une de ses amies, à Brooklyn.
– Tu devrais demander à la compagnie de transport un tarif de faveur, suggéra Roger.
Il se recoucha sur le dos .
– J’ai dit. Maintenant, je la boucle.
Il se tint tranquille un instant, pendant que Noah reprenait le fil de sa lettre.
– Un mois, dit-il. Et ensuite, la table du psychanalyste. Souviens-toi de ce que je te dis.
Noah éclata de rire et se leva.
– J’y renonce, dit-il. Descendons, je te paie un verre.
Roger bondit sur ses pieds.
– Mon bon ami Noah, dit-il. Vierge et martyr.
Ils rirent et sortirent de la maison, dans le soi r doux et calme, et se dirigèrent vers l’affreux café de Columbus Avenue, qu’ils honoraient de leur clientèle.
Le mariage eut lieu dans une grande maison de Flat bush, une maison avec un jardin et une petite pelouse, qui conduisait jusqu’à une rue garnie de quelques arbres. La mariée était jolie, le prêtre pressé d’en finir, et il y avait du Champagne .
Il faisait chaud, le soleil brillait, et tout le monde souriait avec cette sensualité éhontée et tendre des invités d’un mariage. Après la cérémonie, dans les coins de la grande maison, les plus jeunes d’entre eux tenaient, par couples, des conférences mystérieuses. Hope avait une nouvelle robe jaune. Elle était beaucoup sortie au soleil, au cours de la semaine passée, et sa peau était hâlée. Noah ne cessait de l’observer fièrement et un peu anxieusement, tandis qu’elle évoluait à la ronde, ses cheveux noirs négligemmen t répandus sur les épaules dorées émergeant de sa robe. Noah se tenait à l’écart, un peu timide, dégustant une coupe de Champagne , bavardant de temps à autre avec les invités, quittant rarement Hope des yeux. Et quelque chose, au fond de sa tête, lui parlait doucement de ses cheveux, de ses lèvres, de ses jambes, en un langage
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