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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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d’une cruche de lait.
    Elle posa le tout sur un plateau et dit :
    –  Dehors ! comme un sergent commandant un peloton.
    Il alla porter le plateau dans le jardin, derrière la maison, sur lequel s’épaississaient à présent les ombres du crépuscule. Il était limité, de deux côtés, par une haute palissade, et, à son autre extrémité, par le mur blanc d’un garage, sur lequel rampaient les lianes de la vigne vierge. Il y avait un gracieux acacia, dont les branches s’étendaient jusqu’au jardin voisin. Il y avait un petit jardin japonais et des parterres de fleurs communes et une table de bois avec deux chandeliers et une longue balançoire, confortable comme un sofa, abritée par une sorte de dais mobile. Brooklyn avait disparu dans la lumière bleue du crépuscule, et ils étaient dans un jardin clos, en Angleterre, en France ou aux Indes.
    Hope alluma les bougies. Ils s’assirent gravement, de part et d’autre de la table et mangèrent. Ce fut à peine s’ils parlèrent en mangeant, sinon pour s’entre-demander poliment le sel, le poivre ou la cruche de lait. Puis ils plièrent leurs serviettes et se levèrent.
    –  Nous n’avons pas besoin des bougies, dit Hope. Veux-tu éteindre celle qui est de ton côté ?
    –  Certainement, dit Noah.
    Il se pencha au-dessus du petit verre de lampe qui protégeait la flamme de la bougie, et Hope s’inclina de son côté de la table. Leurs têtes se touchèrent, lorsqu’ils soufflèrent, et, dans l’obscurité soudaine, Hop e chuchota :
    –  Pardonne-moi. Je suis la fille la plus détestable du monde entier.
    Et tout changea. Ils s’assirent côte à côte, dans la balançoire, regardant le ciel obscurci où fleurissaient, une par une, les étoiles d’été, à travers le feuillage de l’arbre unique. Loin du tramway, loin des camions, loin de la tante et de l’oncle et des deux enfants de la maison, loin des crieurs de journaux qui vociféraient, au-delà du garage, loin du monde, seuls dans le jardin mystérieux et clos…
    –  Il ne faut pas… dit Hope.
    Et puis :
    –  J’ai peur, j’ai si peur ! – Et puis : Chéri, mon chéri !
    Et Noah fut timide et triomphant, et étourdi, et humble et, lorsque ce fut fini, ils restèrent écrasés, vaincus par le désert de sentiments à travers lequel ils avaient erré, et Noah eut peur qu’elle le déteste après coup, et chaque moment de son silence paraissait de mauvais augure. Puis elle dit :
    –  Tu vois…
    Et s’esclaffa et dit :
    –  Il ne faisait pas trop chaud. Pas trop chaud du tout.
    Beaucoup plus tard, lorsque le moment fut venu, pour lui, de la quitter, ils rentrèrent dans la maison. Ils clignèrent des yeux, dans la lumière et évitèrent de se regarder en face. Pour se donner une contenance, Noah se pencha et alluma la radio.
    Ils jouaient du Tchaïkovski, un concerto pour piano, et la musique claire et triste résonnait à leurs oreilles, comme si elle avait été composée et jouée pour eux, deux êtres à peine sortis de l’enfance, qui venaient de s’aimer pour la première fois. Hope le rejoignît et l’embrassa dans le cou. Il se redressa pour lui rendr e son baiser, mais la musique s’interrompit, et une voix inexpressive annonça :
    –  Bulletin spécial de la Presse associée. L’avance allemande continue tout le long de la frontière russe. De nombreuses divisions blindées sont passées à l’attaque sur une ligne s’étendant de la Finlande à la mer Noire .
    –  Qu’est-ce que c’est ? dit Hope.
    –  Les Allemands, dit Noah, en pensant :
    « Ou n’entend plus parler que des Allemands, fantastique à quel point ces gens-là réussissent à faire parler d’eux. »
    –  Ils sont entrés en Russie. Ce devait être ce que braillaient les crieurs de journaux…
    –  Ferme la radio.
    Hope allongea le bras et la ferma elle-même.
    –  Ce soir, au moins…
    Il la prit dans ses bras et sentit son cœur battre contre lui avec une soudaine intensité. « Pendant toute la durée de cet après-midi, tandis que nous assistions au mariage, et tandis que nous marchions dans les rues, là-bas, des canons tonnaient, des hommes mouraient. De la Finlande à la mer Noire . » Son esprit ne faisait aucun commentaire. Il enregistrait le fait, simplement, comme une pancarte indicatrice aperçue au passage, le long de la route.
    Ils s’assirent sur le canapé usé, dans la pièce silencieuse. Il faisait nuit noire , à présent, et les

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