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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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flirt… je… je ne la reverrais jamais, je te le jure, Roger… Roger, es-tu réveillé ?
    –  Oui. Elle n’est pas mon flirt. Je ne veux pas nier que je n’aie pas un peu… pensé à elle, mais qui diable voudrait se taper ce voyage à Brooklyn trois fois par semaine ?
    Dans l’obscurité, Noah essuya la sueur qui coulait sur son front.
    –  Roger, dit-il.
    –  Oui ?
    –  Je t’aime bien, Roger.
    –  Fiche-moi la paix, et dors.
    Puis un rire étouffé, à travers la chambre commune. Puis le silence.
    Dans les deux mois qui suivirent, Hope et Noah s’écrivirent quarante-deux lettres. Ils travaillaient non loin l’un de l’autre et se rencontraient chaque jour pour déjeuner, et presque chaque soir pou r dîner, et s’échappaient parfois de leurs emplois, dans le courant des beaux après-midi ensoleillés, pour se promener le long des docks et regarder les bateaux entrer dans le port et en sortir. Au cours de ces deux mêmes mois, Noah fit trente-sept fois le long et harassant voyage, jusqu’à Brooklyn et retour, mais c’était le courrier des États-Unis qui transportait l’essentiel de leurs vies.
    Assis près d’elle, dans n’importe quel endroit sombre, il parvenait seulement à lui dire : « Tu es si jolie », ou : « J’aime ta façon de sourire », ou : « Veux-tu aller au cinéma avec moi, dimanche soir ? » Mais par l’intermédiaire du papier blanc, et le truchement impersonnel du facteur, il lui disait : « Ta beauté m’accompagne jour et nuit. Lorsque je lève les yeux vers le ciel, chaque matin, je le trouve plus clair, parce que je sais que c’ est ce même ciel que tu regardes, aussi ; lorsque je regarde le pont sur le fleuve, je le crois plus solide et plus beau parce que tu l’as traversé, un jour, avec moi ; lorsque je regarde mon propre visage, dans le miroir, je le trouve plus présentable, parce que tu l’as embrassé, la veille. »
    Et Hope, dont le maquillage avait une sévérité de Nouvelle-Angleterre qui l’empêchait de lui offrir en personne davantage que les expressions d’amour les plus réticentes et les plus réservées, écrivait à son tour : « Tu viens de quitter la maison et je pense à toi, tout au long de ton voyage de retour. Je vais rester debout avec toi, ce soir, et t’accompagner en pensée jusqu’à la porte de ta chambre. Chéri, pendant que tu voyages, je suis ici sous la lampe allumée, dans la maison endormie, et je pense à tout ce que je sais de toi. Je sais que tu es bon et fort et juste, et je sais que tes yeux sont beaux et ta bouche triste et tes mains belles et souples… »
    Et puis, quand ils se retrouvaient, ils se contemplaient, la gloire des mots écrits tremblant entre eux comme une présence chère, et disaient : « J’ai deux tickets pour un spectacle, ce soir. Si tu n’as rien à faire, veux-tu venir ? »
    Et, tard dans la nuit, la tête légère de l’éclat de la scène et de leur amour et du manque de sommeil, debout, enlacés tous les deux dans le froid vestibule de la maison de Hope, dont la détestable habitude de son oncle, qui lisait parfois la Bible toute la nuit, assis dans le salon, leur interdisait l’entrée, ils restaient dans les bras l’un de l’autre et s’embrassaient jusqu’à se meurtrir les lèvres ; la vie de leurs lettres et leur vraie vie se confondant un instant, dans un accès d’irrésistible passion.
    Ils n’étaient pas amant et maîtresse. D’une part, il n’y avait aucun endroit dans toute la cité, avec ses dix millions de chambres, dans laquelle ils pouvaient, en tout honneur et en toute dignité, transporter leur amour. Et d’autre part, Hope avait en elle un côté religieux inébranlable, et chaque fois qu’ils approchaient dangereusement de la consommation, elle reculait, alarmée. « Bientôt, bientôt, murmurait-elle. Mais pas maintenant… »
    –  Tu vas finir par faire explosion, ricana Roger. Ce n’est pas naturel. Qu’a-t-elle donc ? Ignore-t-elle qu’elle appartient à la génération d’après-guerre ?
    –  Oh, ça va, Roger ! protesta Noah.
    Il était assis au bureau, dans leur chambre, et écrivait une lettre à Hope, et Roger était allongé à plat dos sur le plancher, parce que les ressorts du canapé étaient brisés depuis cinq mois et que le canapé était devenu très inconfortable, pour un homme de sa taille.
    –  Brooklyn, déclama Roger. Brooklyn, terre mystérieuse et sombre.
    Puisqu’il était

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