Le Bal Des Maudits - T 2
de la petite ville le sentiment que justice avait été faite et que tout ce qu’ils avaient souffert commençait à trouver enfin un juste châtiment. « Je devrais être heureux, pensa amèrement Michael, que Keane se soit trouvé parmi nous. Je n’aurais jamais pu le faire, et il fallait probablement que ce soit fait… »
Michael rejoignit Stellevato, debout près de la Jeep. Il se sentait las, écœuré. « C’est pour cela que nous sommes ici, pensa-t-il. Pour tuer des Allemands. Je devrais être joyeux, triomphant… »
Il ne se sentait pas triomphant. Inadapté, inadaptable, pensa-t-il. Michael Whitacre, l’homme inadapté, le civil hésitant, le soldat qui ne tuait pas. Le cognac gratuit, les baisers de filles, sur la route, les fleurs dans la haie n’avaient pas été pour lui, parce qu’il était incapable de les gagner… Keane, qui pouvait sourire en logeant une balle dans la tête d’un garçon de dix-neuf ans en train de mourir à ses pieds, qui rangeait soigneusement la photographie du mort dans son portefeuille, en guise de souvenir, était l’homme que ces Européens avaient réellement acclamé, sur les routes ensoleillées… Keane, l’Américain victorieux, compétent, libérateur, parfaitement adapté aux circonstances particulières de ce mois de vengeance…
L’homme au brassard de la Croix-Rouge fila non loin d’eux, sur sa moto. Il leur adressa un salut enthousiaste. Il était heureux, car il rapportait deux mitraillettes et un petit stock de munitions à ses amis postés derrière les barricades improvisées de Paris. Michael ne se retourna pas lorsque les jambes nues, les absurdes knickerbockers, le bandage sanglant dépassèrent la voiture retournée et disparurent dans la direction des huit cents Allemands, des carrefours minés, de la capitale française.
– Quelle journée ! dit Stellevato, sa douce voix italienne encore rauque d’émotion. Ça va ?
– Ça va, répliqua brièvement Michael.
– Nikki, proposa Keane, tu veux pas aller jeter un coup d’œil aux Fritz ?
– Non, dit Stellevato, je les laisse aux pompes funèbres.
– Tu pourrais ramasser un beau souvenir, insista Keane, pour envoyer de France à tes vieux.
– Mes vieux ne veulent pas de souvenirs, dit Stellevato. Le seul souvenir qu’ils veulent recevoir de France, c’est moi.
– Regarde ça, dit Keane.
Il ressortit sa photo et la fourra sous les yeux de Stellevato.
– Il s’appelait Joachim Ritter.
Stellevato prit lentement la photographie, l’examina.
– Pauvre fille, dit-il enfin. Pauvre petite blonde.
Michael aurait aimé prendre Stellevato dans ses bras et l’embrasser comme un jeune frère.
Stellevato rendit la photo à Keane.
– Je crois que nous devrions retourner au point d’eau, dit-il, pour expliquer la situation aux deux orphelins. Ils doivent avoir entendu la fusillade et sont sans doute à demi morts de peur.
Michael se disposa à s’asseoir dans la Jeep. Une jambe encore sur la chaussée, il s’arrêta. Une autre Jeep s’avançait lentement vers eux, au centre de la grand-rue. Il entendit Keane glisser un nouveau chargeur dans son magasin.
– Ne te réjouis pas d’avance, lui jeta-t-il sèchement. Ce sont des nôtres.
La Jeep s’arrêta devant eux, et Michael reconnut Kramer et Morrison, qui, trois jours auparavant, avaient été avec Pavone. Les villageois groupés sur les marches de l’hôtel regardaient les nouveaux arrivants avec une froide curiosité.
– Ohé ! les enfants ! dit Morrison. Vous vous amusez ?
– Au poil, frangin, dit cordialement Keane.
– Qu’est-il arrivé ici ? – D’un geste incrédule, Kramer désigna les Allemands morts, la voiture retournée. – Un accident de la circulation ?
– Je les ai descendus, ricana Keane. Tous les quatre.
– Il se fout de moi ? demanda Kramer à Michael.
– Pas le moins du monde, répliqua Michael. Ils sont à lui. Tous les quatre.
– Jésus ! s’exclama Kramer.
Il leva les yeux, avec une soudaine révérence, vers le visage de Keane, qui, depuis leur arrivée en Normandie, avait toujours été la cinquième roue de la charrette.
– Il était donc capable de faire autre chose qu’ouvrir grand sa gueule !… Ce vieux Keane !
– Tu parles d’une histoire, pour un détachement des Affaires civiles, dit Morrison.
– Où est Pavone ? coupa Michael. Viendra-t-il ici ce matin ?
Morrison et Kramer ne quittaient pas les
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