Le Bal Des Maudits - T 2
calmée, si vous n’aviez pas l’intention de rester. Hier soir, les tanks ; vous, aujourd’hui. Guerre ou pas guerre, Américains ou pas Américains, vous n’avez pas le droit de traiter ainsi des êtres humains…
– Nikki, gémit Michael. Fichons le camp d’ici ! Vite !
– C’est dégoûtant ! proclamait M me Dumoulin à l’adresse des hommes et des femmes réunis autour d’elle, tandis que Stellevato démarrait. C’est dégoûtant. Ce n’est pas civilisé…
Michael n’entendit pas la fin de sa phrase et résista à la tentation de se retourner. L’une suivant l’autre les deux Jeeps foncèrent sur la route, dans la direction du colonel Pavone.
La table était couverte de bouteilles de Champagne, qui se renvoyaient les reflets des centaines de bougies allumées dans la boîte de nuit. La salle était très en combrée. Les uniformes d’une douzaine de nations voisinaient avec les couleurs éclatantes de robes imprimées, les bras nus, les hautes coiffures brillantes. Tout le monde parlait à la fois. La Libération de Paris, la veille, et la parade, cet après-midi, avec les derniers tireurs embusqués sur les toits, avaient libéré avant tout un flot énorme de paroles, qu’il fallait hurler à pleine voix pour dominer le vacarme du jazz. Il ne se composait que de trois musiciens, mais ils faisaient du bruit pour dix et jouaient, de tout leur cœur, des airs américains.
Assis en face de Michael, le cigare aux dents, le bras autour d’une blonde oxygénée aux longs cils artificiels, Pavone souriait à la ronde. De temps à autre, il adressait à Michael un petit salut amicalement protecteur. Près de Michael étaient assis Ahearn, le correspondant de guerre qui faisait une étude sur la peur, pour le Collier’s, et un pilote français d’un certain âge, vêtu d’un uniforme flambant neuf.
Deux autres correspondants américains occupaient également leur table. Ils étaient légèrement ivres et s’interpellaient gravement en phrases laconiques, et de haut grade.
– Général, disait le premier correspondant, je viens d’atteindre la rivière. Quels sont mes ordres ?
– Traversez cette satanée rivière !
– Impossible, mon général. Il y a huit divisions blindées sur l’autre rive.
– Vous êtes relevé. Si vous ne pouvez pas la traverser, je vais chercher quelqu’un d’autre.
– D’où es-tu, collègue ? dit le premier correspondant.
– East Saint Louis.
– Serrons-nous la main.
Ils se serrèrent la main.
– Vous êtes relevé, dit le second correspondant.
Ils vidèrent leurs verres et observèrent gravement la foule agitée des danseurs.
– Ah ! dit le pilote français. – Il venait d’effectuer trois raids avec la R. A. F. et d’arriver à Paris avec la 2 e D. B. française. – Ah ! ça, c’était le bon temps !
Il parlait de 1928, à New York City, époque où il avait été attaché – mais pas très sérieusement – à une firme de Wall Street.
– J’avais un appartement dans Park Avenue, soupirait le pilote, et, tous les jeudis, j’organisais une cocktail-party, avec mes amis. Il n’y avait qu’une seule règle : chacun devait amener avec lui une fille qui n’était encore jamais venue. Bon Dieu ! s’exclama le pilote, les centaines de filles que nous avons connues de cette façon !
Il secoua la tête au souvenir des beaux jours de sa jeunesse, à l’époque du boom.
– Et, le soir, nous allions à Haarlem. Ah ! ces négresses, et cette musique ! Ça vous fait vibrer l’âme, rien que d’y penser.
Il but sa neuvième coupe de Champagne et sourit à Michael.
– Je connaissais la 135 e Rue mieux que la place Vendôme. Et j’y retournerai après la guerre. Et je me louerai peut-être, conclut-il d’un ton pensif, un appartement dans la 135 e Rue.
Une brune coiffée de dentelle noire surgit aux côtés du pilote et l’embrassa.
– Mon cher lieutenant, dit-elle. Je suis si heureuse de voir un officier français.
Le pilote se leva, s’inclina gracieusement et lui demanda si elle voulait danser. La dame lui fondit dans les bras, et ils s’éloignèrent, enlacés, sur la piste de danse déjà surpeuplée. Le jazz jouait une rumba, et le pilote, élégant dans son uniforme bleu, dansait comme un Cubain avec un visage sérieux et exalté,
– Whitacre, appela Pavone par-dessus la table, si vous quittez jamais cette ville, vous êtes complètement idiot.
– Je suis
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