Le Bal Des Maudits - T 2
d’accord avec vous, mon colonel, répliqua Michael. Dès la fin de la guerre, je demanderai à être démobilisé sur les Champs-Élysées.
Et, pour l’instant, il le pensait. Depuis la première seconde où il avait aperçu la Tour Eiffel, svelte et jamais vue et pourtant familière au-dessus des toits de Paris, il avait senti qu’il avait enfin découvert son véritable domaine. Dans la confusion inextricable des baisers et des serrements de mains et de la reconnaissance populaire, dévorant des yeux les plaques des rues célèbres qui avaient toujours hanté son esprit « Rue de Rivoli », « Place de l’Opéra », « Boulevard des Capucines », il s’était senti lavé de toute culpabilité, de tout désespoir. Même les escarmouches occasionnelles, parmi les monuments et les jardins, où les derniers Allemands avaient brûlé leurs dernières cartouches avant de se rendre, avaient fait figure d’agréable introduction à la grande cité. Et le sang répandu dans les rues, les blessés et les mourants évacués sur des civières de fortune par les auxiliaires féminines des F. F. I. avaient ajouté la note indispensable de souffrance et de tragédie au grand acte de la Libération.
Il ne se souviendrait jamais exactement de ce que cela avait été. Il se souviendrait seulement du nuage de baisers, du rouge à lèvres sur ses joues et sa chemise, des larmes, des étreintes convulsives et de s’être senti énorme, invulnérable et universellement aimé.
– Vous, là-bas ! dit le premier correspondant.
– Oui, mon général, dit le second correspondant.
– Où est le Quartier Général de la 2 e division blindée ?
– Je l’ignore, mon général. Je viens juste d’arriver du camp Shanks.
– Vous êtes relevé.
– Bien, mon général.
Ils burent, solennels,
– Je me souviens, dit Ahearn, que, lors de notre dernière rencontre, je vous ai interrogé au sujet de la peur.
– Oui, dit Michael, les yeux fixés sur le visage rubicond et hâlé, sur les yeux gris et graves du correspondant. Qu’en ont pensé vos rédacteurs en chef ?
– J’ai décidé de ne pas écrire cet article, dit sérieusement Ahearn. L’importance de la peur est nettement surfaite. C’est le résultat de la littérature d’après guerre et de la mode psychanalyste. La peur est devenue respectable et a fini par disparaître de la circulation. C’est un concept essentiellement civil. Les soldats ne s’en soucient pas autant que les romanciers veulent bien nous le dire. En fait, leur façon de représenter la guerre comme une expérience insupportable est parfaitement fausse. J’ai observé soigneusement, autour de moi, en me gardant de toute idée préconçue. Et j’en suis arrivé à la conclusion que la plupart des hommes qui y participaient jouissaient de la guerre, en quelque sorte. C’est une expérience normale et satisfaisante. Quelle est la chose qui vous a le plus frappé, en France, au cours de ce dernier mois ?
– Eh bien, commença Michael, je crois que…
– C’est l’hilarité, affirma Ahearn. Une curieuse sensation de vacances. Le rire. Nous avons fait cinq cents kilomètres à travers une armée ennemie, portés par une marée de rires ! J’ai l’intention d’écrire quelque chose là-dessus pour le Collier’s.
– J’en guetterai la publication, dit poliment Michael.
– Le seul homme qui ait jamais écrit quelque chose d’intelligent sur la guerre, continua Ahearn, à quinze centimètres du visage de Michael, s’appelait Stendhal. En fait, les trois auteurs qui vaillent la peine d’être relus deux fois, dans toute l’histoire de la littérature, sont Stendhal, Villon et Flaubert.
– La guerre sera finie dans un mois, disait un beau correspondant britannique, à la table voisine. Elle sera finie dans un mois, et je le regrette. Il y a une quantité d’Allemands qui doivent être tués, et, si la guerre se poursuit assez longtemps, nous les tuerons.
Si la guerre se termine trop vite, ils devront toujours être tués, mais il nous faudra les exécuter de plein sang-froid, et j’ai bien peur que nous autres, Anglais et Américains, n’ayons pas le cran de le faire. Et nous laisserons subsister au centre de l’Europe une puissante génération ennemie ! Personnellement, je prie pour que nous ayons un terrible revers de fortune…
– Oh, jolie, jolie, jolie clame, chantait le trompette en un anglais approximatif. Soyez tendre et
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