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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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Allemands auraient eu le temps de regagner Paris avant que j’aie pu tirer un seul coup de feu… »
    Il y avait eu quatre hommes dans la voiture, constata Michael, dont trois officiers. Le conducteur, un simple soldat, était encore vivant. Du sang bouillonnait entre ses lèvres, et il essayait de ramper avec une opiniâtre persévérance lorsque Michael le rejoignit. Il vit les pieds de Michael et cessa d’essayer de ramper. Keane regarda les trois officiers.
    –  Morts, rapporta-t-il avec un de ses sourires sans gaieté. Tous les trois. Ça nous vaudra au moins une Étoile de bronze. Tu diras à Pavone de la demander pour nous. Qu’est-ce qu’on fait de celui-là ?
    –  Il n’a pas l’air en très bonne santé, dit Michael.
    Il se pencha et toucha doucement l’épaule de l’homme.
    –  Parlez-vous français ? demanda-t-il.
    L’homme leva les yeux. Il était très jeune : dix-huit ou dix-neuf ans, et l’écume qui souillait son menton, et la souffrance clairement lisible dans son regard lui donnaient une expression pathétiquement animale. Il fit oui, de la tête, et l’effort parut redoubler ses souffrances. Un caillot de sang tomba sur les souliers de Michael.
    –  Ne bougez pas, murmura Michael à l’oreille du jeune homme. Nous allons essayer de vous aider.
    Le jeune homme se laissa retomber contre terre, roula lentement sur lui-même et resta immobile, sur le dos, levant vers Michael un regard supplicié.
    Les Français étaient réunis autour de la voiture inutilisable. L’homme au brassard de la Croix Rouge s’était emparé des deux mitraillettes allemandes.
    –  Magnifique, jubilait-il. Magnifique. Ils seront bien contents à Paris.
    Il s’approcha du blessé et empocha le pistolet qu’il portait à la ceinture.
    –  Magnifique, répéta-t-il. Nous avons des munitions de 38 pour ce revolver.
    Le blessé ne vit qu’une chose : la croix rouge qui bougeait sur le bras du Français.
    –  Docteur, dit-il péniblement. Docteur… Aidez-moi.
    –  Oh ? dit gaiement le Français en désignant son brassard. Ce n’est qu’un déguisement pour échapper à tes petits amis, sur la route. Je ne suis pas médecin. Il faudra trouver quelqu’un d’autre pour te soigner, mon vieux.
    Il se retira avec ses trésors, qu’il examina soigneusement, pour voir s’ils n’avaient subi aucun dommage.
    –  Ne perdez pas votre temps avec ce cochon-là.
    C’était la voix froide et résolue, la voix de
    M me  Dumoulin.
    –  Donnez-lui le coup de grâce.
    Michael la regarda, incrédule. Elle était debout près de la tête du jeune homme, les bras croisés sur son ample poitrine, par lant – il suffisait de regarder leurs visages – non seulement en son nom, mais au nom de tous les assistants, groupés derrière elle.
    –  Une minute, dit Michael. Cet homme est notre prisonnier, et l’armée américaine n’achève pas ses prisonniers.
    –  Docteur, souffla le jeune homme étendu sur le pavé.
    –  Tuez-le, dit quelqu’un, derrière M me  Dumoulin.
    –  S’il ne veut pas gâcher ses munitions, je le ferai avec un caillou, renchérit une autre voix.
    –  Qu’est-ce qui vous prend, à tous ? hurla Michael. Qu’êtes-vous donc ? Des bêtes féroces ?
    Il parlait français, pour que tous puissent comprendre, et son accent universitaire traduisait assez infidèlement sa colère et son dégoût. Il regardait M me  Dumoulin. « Inconcevable, pensait-il, une petite ménagère adipeuse, une Irlandaise, égarée dans cette guerre française, assoiffée de sang, insensible à la pitié. »
    –  Il est blessé. Il ne peut plus faire de mal, continua Michael, furieux de devoir parler aussi lentement, en cherchant ses mots. A quoi bon tout cela ?
    –  Allez un peu voir Jacqueline, dit froidement M me  Dumoulin. Et M. Alexandre… C’est l’autre, là-bas, avec une balle dans le poumon… Vous comprendrez peut-être mieux, après…
    –  Trois d’entre eux sont morts, plaida Michael. Ça ne vous suffit pas ?
    –  Ça ne nous suffit pas ?
    Le visage de la femme était blême de rage. Ses yeux sombres, presque pourpres, contenaient une haine sans borne, confinant à la folie.
    –  Ça vous suffit peut-être à vous, jeune homme. Vous n’avez pas vécu sous leur règne pendant quatre ans ! Vous ne les avez pas vus déporter et assassiner vos enfants ! Jacqueline n’était pas votre voisine ! Vous êtes Américain. Il vous est facile de vous montrer humain.

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