Le Bal Des Maudits - T 2
cadavres des yeux. Comme la majeure partie de leur unité, ils n’avaient jamais combattu depuis leur arrivée en France, et ils étaient franchement impressionnés.
– Il y a eu un changement dans les plans, annonça Kramer. La compagnie de travail ne passera pas par ici. Pavone nous a envoyés vous chercher. Il est dans une ville qui s’appelle Rambouillet. Ce n’est qu’à une heure d’ici. Tout le monde attend une division française pour prendre la tête de la parade et entrer dans Paris. On connaît la route. Nikki, tu n’as qu’à nous suivre.
Stellevato regarda Michael. Michael se sentait soulagé de voir le souci de prendre les décisions ressortir enfin de ses mains.
– O. K„ Nikki, dit-il. Allons-y.
– Ç’a l’air d’un petit bled sympathique, dit Kramer. Ces gens-là nous feraient peut-être bien cuire quelque chose en vitesse ?
– Je meurs d’envie de manger un beefsteak, souligna Kramer. Avec des pommes de terre frites à la française.
Soudain, la pensée de demeurer plus longtemps dans cette petite ville, sous les yeux calculateurs des villageois, avec les Allemands morts étalés devant l’épicerie, fut intolérable à Michael.
– Allons rejoindre Pavone, dit-il. Il peut avoir besoin de nous.
– S’il y a une chose que je ne peux pas souffrir, dit Morrison, c’est bien les soldats de première classe. Whitacre, tu te laisses griser par ton grade.
Mais il n’insista pas et retourna la Jeep.
Stellevato vira à son tour et suivit lentement Morrison. Michael était assis, très raide, sur le siège de devant. Il ne regarda pas les marches de l’hôtel où, devant tous ses voisins et amis, se tenait M me Dumoulin.
– Monsieur !
C’était, une fois de plus, la voix de M me Dumoulin forte et impérieuse.
– Monsieur !
Michael soupira.
– Une minute, dit-il à Stellevato.
Stellevato stoppa la Jeep, klaxonna pour averti Morrison. Morrison s’arrêta.
M me Dumoulin et ses compagnons quittèrent une seconde fois les marches de l’hôtel. M me Dumoulin se planta devant Michael, au milieu des fermiers et des marchands usés par le travail, rigides et gauches dans leurs vêtements rapiécés.
– Monsieur, répéta M me Dumoulin, en croisant à nouveau les bras sur sa poitrine informe, en travers de son sweater masculin. Monsieur, avez-vous l’intention de partir ?
– Oui, madame, dit calmement Michael. Nous avons des ordres.
– Et les huit cents Allemands ? demanda M me Dumoulin, d’une voix sauvagement contrôlée.
– Je doute fort qu’ils reviennent, dit Michael.
– Vous doutez fort qu’ils reviennent, le singea M me Dumoulin. Et si, par hasard, ils n’avaient pas entendu parler de vos doutes, monsieur ? Et si par hasard ils revenaient ?
– Je regrette, madame, dit Michael, excédé. Nous devons partir. Et, s’ils revenaient, quel bien vous ferait la présence de cinq Américains ?
– Vous nous abandonnez ! cria M me Dumoulin. Ils vont revenir et voir les quatre morts, sur la place et tuer tous les habitants de la ville. Vous n’avez pas le droit de faire ça ! Il faut que vous restiez ici pour nous protéger !
Michael regarda les cinq soldats américains – Stellevato, Keane, Morrison, Kramer et lui-même – retardés au centre de la petite place par la volonté de M me Dumoulin. Keane était le seul qui eût jamais tiré un coup de feu sur l’ennemi, et il pouvait être considéré comme en ayant assez fait pour aujourd’hui. « Seigneur, pensa-t-il en se retournant à regret vers M me Dumoulin, sauvage et grasse incarnation de quels devoirs complexes ? Seigneur, quelle protection pourraient vous apporter ces cinq guerriers contre ce bataillon allemand fantôme ! »
– Madame, dit-il, nous n’y pouvons rien. Nous ne sommes pas l’Armée américaine. Nous faisons ce qu’on nous dit de faire et nous allons où on nous dit d’aller.
Il regarda, au-delà de M me Dumoulin, les visages anxieux, accusateurs, des villageois, cherchant à les convaincre de sa sympathie, de ses bonnes intentions, de son impuissance. Mais il ne lut aucune compréhension sur ces visages d’hommes et de femmes effrayés, persuadés qu’on allait les laisser mourir, aujourd’hui, dans les ruines de leurs foyers dévastés.
– Excusez-moi, madame, dit Michael, à deux doigts des larmes. Je n’y peux rien…
– Vous n’aviez pas le droit de venir, gronda M me Dumoulin, soudain
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