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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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Il avait une barbe blonde et peu fournie, comparée à l’épaisse toison noire de Michael. Ses yeux qui, lorsqu’il était éveillé, regardaient le monde avec une sombre et tenace maturité, étaient fermés à présent, et, pour la première fois, Michael remarqua que son ami avait de longs cils recourbés, qui donnaient à la partie supérieure de son visage une apparence aimable et douce. Michael se sentit envahi par une vague de pitié et de gratitude envers ce garçon endormi, drapé dans sa lourde capote tachée, ses mains gantées reposant doucement sur le canon de son fusil… Michael réalisa, soudain, quels efforts sur lui-même devait faire ce garçon frêle pour conserver son attitude de grave compétence, pour prendre ses décisions intelligentes, militaires et courageuses, pour combattre avec cette prudente ténacité, pour survivre dans ce pays et ce temps agité, où la mort fauchait négligemment tant d’hommes autour de lui… Les cils blonds tressaillirent sur le visage jadis martelé par tant de poings, et Michael pensa à toutes les fois où la femme de Noah avait dû observer, avec une tendresse amusée, la féminité saugrenue de ces attributs de jeune fille. Quel âge avait-il ? Vingt-deux, vingt-quatre ans ? Mari, père et soldat… Deux amis, tous deux disparus… Et il avait besoin d’amis comme les autres avaient besoin d’air, et trouvait le moyen, au sein de ses propres souffrances, de veiller désespérément sur un soldat maladroit, de dix ans son aîné, un nommé Michael Whitacre qui, laissé à ses propres ressources, aurait probablement déjà sauté sur une mine, se serait fait abattre par un tireur embusqué, ou, par inexpérience, par fainéantise, se serait fait écraser par un tank dans un trou insuffisamment creusé… Beefsteaks et vin rouge de Californie, par-delà le ravin ténébreux uniquement peuplé d’hallucinations, dès leur retour, c’était lui, Michael, qui les invitait… C’était impossible, et pourtant cela se produirait. Michael ferma les yeux, accablé par le sentiment d’une immense responsabilité.
    –  Je joue mille francs…
    Ah oui ! les joueurs de dés… Michael ouvrit les yeux, se leva et, portant son fusil, rejoignit les joueurs.
    Pfeiffer jouait et gagnait. Sa main gauche était pleine de billets chiffonnés. Le lieutenant du ravitaillement ne jouait pas, mais les deux sergents donnaient la réplique à Pfeiffer. Le lieutenant portait bien un manteau d’officier fauve, et d’une coupe impressionnante. Le dernière fois que Michael avait vu un tel manteau, c’était à New York, dans la vitrine d’Abercrombie and Fitch. Les trois hommes portaient des bottes de parachutiste, bien qu’aucun d’entre eux n’eût manifestement jamais sauté de plus haut que d’un tabouret de bar. Tout trois étaient grands, larges d’épaules, rasés de près, impeccablement vêtus, visiblement frais et dispos, et les fantassins barbus avec lesquels ils jouaient paraissaient appartenir à une race inférieure et arriérée.
    Les visiteurs parlaient haut et clair et se mouvaient avec une énergie étrangement déplacée au milieu de ces hommes las, lents et laconiques, qui étaient redescendus un instant des lignes pour prendre leur premier repas chaud depuis trois jours. Si l’on devait choisir des soldats pour un régiment d’élite, un régiment capable de conquérir des villes, de lancer des têtes de ponts ou d’arrêter une division blindée, on n’hésiterait certainement pas, songea Michael, à élire ces trois beaux gaillards pleins de vie. L’Armée en avait décidé autrement. Ces hommes musclés, aux voix mâles, tapaient des formulaires dans un bureau confortable, à quatre-vingts kilomètres de là, en se levant de temps à autre pour bourrer le poêle rouge dressé au centre de la pièce contre les rigueurs de l’hiver. Michael se souvint du petit discours rituellement adressé par le sergent Houlihan, du second peloton, aux troupes de remplacement…
    –  Ah, disait Houlihan, pourquoi fourre-t-on tous les poids plume dans l’infanterie ? Et pourquoi trouve-t-on dans les Services du Ravitaillement les leveurs de poids, les athlètes, et les armoires américaines ? Dites-moi, les enfants, y en a-t-il un parmi vous qui pèse plus de soixante kilos ?
    C’était une facétie, bien sûr, et Houlihan s’en servait pour mettre les reclassés en confiance, mais elle contenait, aussi, un ridicule élément de

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