Le Bal Des Maudits - T 2
obstacle pour les patrouilles, et la mitrailleuse, s’il y en avait une, ne pouvait les atteindre derrière le sommet de la crête. Si les Allemands avaient des mortiers, dans leurs bois, ils les conservaient. Mais, au crépuscule, viendrait une compagnie du Génie, qui essaierait de jeter un pont de bateaux sur le fleuve, et la compagnie de Michael avait ordre de traverser ce pont et de prendre contact avec les Allemands, qui tenaient l’autre rive. Le lendemain matin, une nouvelle compagnie franchirait le fleuve à son tour, traverserait les positions établies par la compagnie de Michael et poursuivrait l’avance amorcée. Sur la carte du quartier général divisionnaire, c’était certainement un projet parfait. Tel, pourtant, n’était pas l’avis de Houlihan, lorsqu’il observait avec ses jumelles la rivière glacée et noire, et le versant désert, silencieux, clairsemé de buissons, saupoudré de neige, qui s’étendait en face de lui.
Houlihan parlait à Green, à l’aide d’un téléphone portatif sanglé autour d’un arbre, lorsque Noah, Michael, Pfeiffer et Crane le rejoignirent.
– Je n’aime pas ça du tout, mon capitaine, disait-il. Ils sont trop tranquilles. Il y a au moins une mitrailleuse camouflée au sommet de cette crête. Je la sens. Ils enverront des fusées éclairantes, ce soir, quand ils seront prêts, et ils auront cinq cents mètres de rase campagne et toute la longueur du pont pour nous descendre tous. Terminé.
Il écouta.
– Bien, mon capitaine, dit-il enfin. Je vous rappellerai dès que je l’aurais découvert.
Il soupira et raccrocha le récepteur. Il jeta un coup d’œil de l’autre côté du fleuve, en se mordant l’intérieur des joues. Il avait l’air pensif et douloureux.
– Le capitaine dit d’envoyer une patrouille cet après-midi, expliqua Houlihan. Jusqu’à la rive du fleuve, bien en vue, si nécessaire, pour attirer le feu. Nous pourrons repérer d’où il vient, les mortiers se mettront au travail et en feront disparaître la source.
Houlihan reprit ses jumelles, et, à travers le jour gris, examina la crête à l’aspect tellement innocent.
– Pas de volontaires ? demanda-t-il avec désinvolture.
Michael regarda autour de lui. Sept hommes avaient entendu Houlihan. Accroupis dans des trous peu profonds, juste au-dessous du sommet, ils examinaient passionnément leurs fusils, la contexture du sol, en face d’eux, la disposition des buissons autour de leur têtes. Trois mois auparavant, se souvint Michael, il se serait probablement porté volontaire, pour prouver quelque chose d’absurde, pour expier quelque chose de profond. Mais, depuis, il avait profité des enseignements de Noah et se mit à contempler ses ongles en silence.
Houlihan soupira doucement. Une minute s’écoulait. Tout le monde pensait au moment où le chef de file de la patrouille qu’il faudrait désigner attirerait le feu de la mitrailleuse ennemie.
– Nous ne vous dérangeons pas, sergent ?
Michael leva les yeux. Le lieutenant des Services du Ravitaillement et ses deux compagnons de voyage montaient lentement la côte glissante. La question du lieutenant planait dans les airs, sur les têtes des hommes accroupis dans leurs trous, follement débonnaire, comme la réplique d’une duchesse, dans une comédie hongroise.
Houlihan se retourna, surpris, les yeux soudain rétrécis.
– Le lieutenant cherche des souvenirs pour les vendre à Paris, sergent, dit Crane.
Une expression fugitive, insondable, erra sur le visage maigre de Houlihan, sur ses joues creuses, bleuies par le froid et la barbe.
– Mais pas du tout, lieutenant, dit-il cordialement, d’un ton inhabituellement obséquieux ; nous sommes très honorés de vous avoir parmi nous.
Le lieutenant haletait, en atteignant le sommet de la crête. « Il n’est pas en aussi bonne condition physique qu’il le paraît, pensa Michael. Il ne peut sans doute pas pratiquer son polo, ces jours-ci, dans la zone de communications. »
– Vos hommes m’ont dit que le Front était ici, commença le lieutenant, en prononçant le mot « Front » avec une énorme majuscule. Est-ce exact ?
– Mon Dieu, oui, en quelque sorte, mon lieutenant, dit Houlihan.
– C’est rudement tranquille, dit le lieutenant en jetant autour de lui un regard perplexe. Je n’ai pas entendu un coup de feu depuis deux heures. En êtes-vous certain ?
Houlihan rit poliment.
– Je vais vous dire quelque
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