Le Bal Des Maudits - T 2
routes et aux portes des villes, toutes les discussions entre soldats se terminaient, depuis un mois, de la même manière. Aucune haine pour l’aviation américaine, des tructrice massive de cités millénaires, aucun désir de vengeance non plus, en face des milliers de femmes et d’enfants écrasés sous les ruines, seulement : « Ceux auxquels il vaut mieux se rendre sont, évidemment, les Américains. Ensuite, les Anglais. Ensuite, mais en dernier ressort, les Français. Et, si les Russes nous mettent la main dessus, rendez-vous en Sibérie… » Des hommes décorés de la Croix de fer de première classe, ou de la médaille de Hitler, des hommes qui avaient combattu en Afrique, et devant Leningrad, et, en reculant toujours, depuis Sainte-Mère-Église… C’était à vous dégoûter d’être Allemand.
Christian n’était pas aussi certain que les autres de la générosité des Américains. C’était un mythe inventé pour son propre réconfort par un peuple nourri de mythes. Christian se souvenait du parachutiste mort, suspendu à l’arbre normand, le visage dur et impitoyable, même alors, oui, même alors… Il se souvenait du convoi de la Croix-Rouge, avec ses chevaux misérables, mitraillé par des aviateurs qui n’avaient pas pu ne pas voir les croix rouges, qui n’avaient pas pu ne pas savoir ce qu’elles signifiaient et qui ne s’étaient pas abstenus, malgré tout, de le cribler de balles… Les Américains n’avaient pas exactement démontré leur générosité, non plus, sur Berlin, Munich ou Dresde. Christian ne croyait plus en ces mythes. Et les Américains, du reste, ne leur avaient rien promis. Ils avaient annoncé, au contraire, que tous les criminels de guerre allemands, hommes ou femmes, seraient punis en raison de leurs crimes. En mettant les choses au mieux, il y aurait des années à passer dans des prisons ou des équipes de travailleurs forcés, en attendant son tour d’être jugé. Et si quelque Français se souvenait du nom de Christian, depuis le jour où, en Normandie, il avait dénoncé les deux fermiers qui avaient égorgé Behr, sur la plage, et que le lieutenant de S. S. avait torturés, dans une salle de la mairie ? On ne savait pas quels registres tenaient les gens du maquis, ni ce qu’ils savaient, ni combien ils en savaient. Et Dieu seul savait ce que raconterait cette Françoise. Elle vivait probablement à Paris, maintenant, avec un général américain. Et même, s’ils n’avaient aucune raison particulière de vous cher cher, n’importe quel Français hystérique pouvait s’imaginer vous reconnaitre, une fois que vous étiez entre leurs mains, et vous accuser de quelque crime que vous n’aviez jamais commis. Qui, dans ce cas, ajouterait foi à votre parole ? Qui prendrait votre défense ? Qui vous aiderait à prouver votre innocence ? Et rien n’empêcherait les Américains de livrer un million de prisonniers aux Français, pour désamorcer les mines et reconstruire les villes endommagées, et tout valait mieux que tomber pour plusieurs années entre les mains des Français… Aucun d’entre eux ne s’en sortirait vivant.
Christian n’avait pas l’intention de mourir. Il avait appris trop de choses au cours des cinq dernières années. Il serait trop utile après la guerre pour sacrifier tout cela en pure perte. Pendant trois ou quatre ans, bien sûr, il lui faudrait se tenir tranquille et faire bonne mine aux conquérants. Tôt ou tard, les touristes reviendraient faire du ski dans sa contrée natale, l’armée américaine y installerait sans doute d’immenses camps de repos, et il pourrait gagner sa vie en enseignant à des lieutenants américains les secrets du slalom… Ensuite… ma fois, ensuite, il serait toujours temps d’aviser. Un homme qui avait appris à tuer avec tant de brio, à manier avec tant de maîtrise des hommes violents et désespérés, pourrait être très utile à son pays, cinq ans après la guerre, s’il prenait bien soin de sa propre personne…
Il ne savait pas quelle était la situation, dans sa ville natale, mais, s’il pouvait y parvenir avant l’arrivée des troupes, il endosserait des vêtements civils, et son père pourrait inventer une histoire… Ce n’était pas tellement loin. Il se trouvait déjà au cœur de la Bavière, et les montagnes se profilaient, au loin, juste au-dessus de l’horizon. La guerre s’est enfin décidée à prendre une tournure plus commode, pensa-t-il avec un sinistre
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