Le Bal Des Maudits - T 2
Louise et le colonel Treanor, et Mincey avait charitablement prévenu Michael d’être plus discret avec Louise lorsque le colonel était dans les parages. Treanor, selon Mincey, faisait partie d’une des Commissions suprêmes d’Études stratégiques, et était tout-puissant en matière de politique alliée.
– Je vous ai dit que j’étais occupée, Charles, répliqua Louise.
– Très bien, dit le colonel d’un ton sec.
Il avait un peu bu. Il s’inclina, pivota et se dirigea vers le bar.
– Ainsi mourut le soldat Whitacre, déclama tout bas Michael, sur la péniche de débarquement numéro Un.
– Ne sois pas idiot ! gronda Louise.
– Je plaisantais.
– C’est une plaisanterie idiote.
– D’accord. C’est une plaisanterie idiote.
Il rit, pour montrer à Louise que ce n’était, effectivement, rien de plus qu’une plaisanterie.
– Et maintenant que tu as compromis ma carrière dans l’Armée des États-Unis, enchaîna-t-il, nous pourrions peut-être partir ?
– Tu ne veux pas faire la connaissance de quelques généraux ?
– Plus tard, dit Michael. Aux environs de i960. Va chercher ton manteau.
– O. K., dit Louise. Mais ne t’en va pas. Je ne pourrais pas le supporter.
Michael la regarda, perplexe. Debout près de lui, elle paraissait avoir oublié l’existence de tous les autres hommes qui les entouraient, et, la tête légèrement inclinée sur l’épaule, elle regardait gravement Michael. « Mais elle pense ce qu’elle dit », constata-t-il, surpris. Il se sentait troublé, attendri et méfiant à la fois. « Que veut-elle ? » La question traversa son esprit, tandis qu’il contemplait les cheveux luisants et lisses, le regard ferme et secret de la jeune femme. « Que me veut-elle ? Quoi que cela puisse être, se rebella-t-il intérieurement, je n’en veux pas. »
– Pourquoi ne m’épouserais-tu pas ? dit-elle.
Michael écarquilla les yeux et regarda, autour de lui, les étoiles et les galons. « Quel endroit, songea-t-il, pour poser une question pareille ! »
– Pourquoi ne m’épouserais-tu pas ? répéta-t-elle calmement.
– Va chercher ton manteau, dit-il.
Il la détestait cordialement, tout à coup, et se sentait navré pour le mari professeur et matelot, tout seul au fond de sa jungle. C’était probablement un homme simple et très sympathique, et qui mourrait, sans doute, avant la fin de la guerre, par simple manque de chance.
– Ne t’imagine pas que je sois ivre, dit Louise, je savais que j’allais te le demander, dès que je t’ai vu entrer ce soir. Je t’ai regardé pendant au moins cinq minutes avant que tu me voies toi-même. Je savais que c’était ça que je voulais.
– Je vais transmettre une demande, par les voies habituelles, à mon officier supérieur…, commença Michael, d’un ton aussi léger que possible.
– Ne plaisante pas, imbécile, dit Louise.
Elle pivota brusquement et s’en alla chercher son manteau.
Il la regarda traverser la salle. Il vit le colonel Treanor l’arrêter à mi-chemin et échanger avec elle quelques paroles rapides. Il l’avait prise par le bras, mais elle se dégagea et continua sa route vers le vestiaire. Elle marchait d’un pas léger, remarqua Michael, avec une grâce un peu rigide, et il était impossible de ne pas admirer la ferme féminité de ses petits pieds et de ses jolies jambes. Michael se sentait cafardeux et souhaitait avoir le courage d’aller boire un verre au bar. Ses rapports avec Louise avaient été si agréables et si amicaux, si désinvoltes et si exempts d’obligations réciproques. Juste ce qu’il fallait pour cette époque d’attente, cette époque transitoire, avant la guerre véritable, cette époque de honte et d’humiliations dans le bureau ridicule de Mincey. Ils avaient été flatteurs et désinvoltes, juste ce qu’il fallait de l’un et de l’autre, et Louise avait habilement érigé, tel un mince bouclier, quelque chose de meilleur et de moins dangereux que l’amour, pour le protéger des méfaits éternels et comiques de l’armée. Et maintenant, tout cela était probablement terminé. « Les femmes, pensa Michael, n’apprendront jamais l’art de passer sans s’arrêter. Il leur faut toujours travailler dans le définitif, bâtir des foyers au sein des pires catastrophes, des guerres et des écroulements, avec une obstination instinctive et indestructible. Non, pensa-t-il, rien à faire. Pour ma
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