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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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des États-Unis va perdre une péniche de débarquement de plus.
    –  Occupez-vous de vos affaires, lieutenant, dit froidement Colclough, et laissez-moi m’occuper des miennes.
    –  Si vous n’êtes pas descendus dans dix minutes, dit le lieutenant en tournant les talons, je vous remmène tous en mer, vous et votre maudite compagnie, et vous n’aurez plus qu’à vous engager dans la Marine.
    –  Votre attitude présente sera signalée à qui de droit, lieutenant, dit Colclough.
    –  Dix minutes ! hurla le lieutenant par-dessus son épaule, en regagnant son pont dévasté.
    La voix aiguë du lieutenant Green s’éleva parmi les hommes alignés sur la rampe de débarquement, les yeux fixés sur l’eau verte et sale, clairsemée de caisses vides et de cartons de rations K et de débris de toutes sortes.
    –  Mon capitaine, dit le lieutenant Green, je serais heureux de passer le premier. Puisque le caporal dit que tout va bien… Les hommes pourront marcher sur mes traces et…
    –  Je n’ai pas l’intention de perdre aucun de mes hommes sur cette plage, dit Colclough. Restez où vous êtes.
    Il posa la paume de sa main sur la crosse nacrée du revolver que sa femme lui avait donné. La partie inférieure de l’étui, constata Noah, était ornée d’une frange de peau brute, comme les étuis des panoplies de cow-boys que le Père Noël apporte aux petits garçons sages.
    Le caporal retraversait la plage, en compagnie de son lieutenant. Le lieutenant était un grand type énorme, sans casque et sans fusil. Avec son visage hâlé, congestionné et couvert de sueur, ses mains noires de saleté émergeant des manches retroussées de son treillis, il n’avait pas l’air d’un soldat, mais du contremaître de quelque équipe d’ouvriers manuels revenant de leur travail.
    –  Descendez, capitaine, dit le lieutenant, descendez à terre.
    –  Il y a une mine au pied de la rampe, répéta Colclough. Faites venir vos hommes et qu’ils balaient ce coin-là.
    –  Il n’y a pas de mine, dit le lieutenant.
    –  J’ai dit que j’avais vu une mine.
    Désespérés, les hommes écoutaient cette conversation. Si près du but, il leur semblait intolérable de rester sur ce navire à bord duquel ils avaient tant souffert toute la journée et dont la silhouette constituait encore pour l’ennemi une cible idéale. Avec ses dunes, ses trous et ses piles de matériel, la plage leur paraissait plus sûre, plus solide, plus organisée que rien de ce qui flottait et était régi par la Marine ne l’était et ne le serait jamais. Immobiles derrière Colclough, ils regardaient son dos et sentaient s’accroître leur haine.
    Le lieutenant du génie ouvrit la bouche pour parler. Puis il aperçut le revolver à crosse de nacre, sur la cuisse du capitaine. Il referma la bouche, sourit, et, sans un mot, entra dans l’eau, avec ses leggings et ses brodequins, et se mit à piétiner lourdement le sol, autour du pied de la rampe, sans prêter attention aux vagues qui venaient s’écraser sur ses cuisses. Le visage dépourvu de toute expression, il piétina ainsi chaque centimètre de plage que les hommes pourraient avoir à traverser. Puis, sans un mot à l’adresse de Colclough, il ressortit de l’eau, son large dos légèrement courbé, et rejoignit ses hommes qui étaient en train de lancer leur bulldozer contre un gros bloc de béton duquel émergeait un morceau de rail.
    Colclough fit soudain volte-face, mais aucun des hommes ne souriait. Il se retourna, et, délicatement, avec dignité, mit le pied sur le sol de France. Un par un, les hommes de la compagnie le suivirent, à travers les vagues glacées et les épaves de ce premier jour de bataille pour la conquête de la forteresse Europe.
    La compagnie n’eut pas à combattre, le premier jour. Ils creusèrent des trous et mangèrent leur ration du soir (veau séché, biscuit, chocolat bourré de vitamines, le tout avec un goût étrange de produit manufacturé, le tout plus dense et plus glissant que des aliments naturels), nettoyèrent leurs fusils et regardèrent débarquer les nouvelles compagnies avec une supériorité amusée de vétérans devant leur nervosité et leur crainte absurde des mines ; Colclough était parti à la recherche du quartier général régimentaire, qui devait se trouver quelque part à l’intérieur du littoral, personne ne savait exactement où.
    La nuit était sombre, humide et froide. Des avions allemands survolèrent la

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