Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
Vom Netzwerk:
l’ami qu’il n’a pas quitté depuis Fort Benning (Georgie), en 1940, sauter sur une mine et retomber sur les fils de fer barbelés, le dos ouvert de la nuque aux hanches. Oh ! mon Dieu, sanglote l’homme présent sur le champ de bataille, oh ! mon Dieu, on va tous y passer !
    La péniche de débarquement louvoya au large des côtes jusqu’à quatre heures de l’après-midi. À midi, un chaland emporta les blessés, dûment bandés, transfusés et désinfectés. Noah observa avec envie le transbordement des hommes enveloppés de couvertures, en pensant, vaguement : « Ils retournent, ils retournent ; dans dix heures, ils seront en Angleterre, dans dix jours, ils peuvent être en Amérique. Quels veinards, ils n’ont même pas eu à combattre. »
    Mais, alors que le chaland n’était encore qu’à une trentaine de mètres, en route pour l’Angleterre et les États-Unis, un obus l’atteignit de plein fouet. Pendant un instant, rien ne parut vouloir se produire, puis il roula lentement sur lui-même, et les civières, et les bandages, et les couvertures tournoyèrent une minute ou deux dans l’eau verte écumeuse, et ce fut tout. Un éclat de shrapnel dans le crâne, Donnelly avait été parmi les blessés, et Noah chercha Donnelly dans les lourdes vagues nuageuses ; mais le pugiliste des Gants d’Or avait définitivement disparu. « Il n’a même pas eu l’occasion d’utiliser son lance-flammes, pensa Noah. Après tous ces mois d’entraînement ! »
    Colclough était invisible. Toute la journée, il était demeuré dans sa cabine, et les seuls officiers de la compagnie présents sur le pont étaient le lieutenant Green et le lieutenant Sorenson. Le lieutenant Green était un petit homme efféminé et frêle, et tout le monde s’était toujours moqué de sa voix aiguë et de sa façon ridicule de marcher à petits pas. Mais il ne cessait d’évoluer sur le pont, parmi les blessés et les malades et ceux qui étaient sûrs de mourir avant peu ; il était joyeux et compétent et aidait à poser les bandages et à opérer les transfusions, et répétait inlassablement que le navire n’allait pas couler, que la Marine travaillait activement sur les moteurs et qu’ils seraient sur la plage avant un quart d’heure. Il marchait toujours à petits pas ridicules, et sa voix n’était ni plus grave ni plus virile que d’habitude, mais Noah avait le sentiment que si le lieutenant Green – qui, avant la guerre, avait dirigé une grande quincaillerie, dans la Caroline du Sud – n’avait pas été à bord, la moitié de la compagnie aurait sauté à la mer avant deux heures de l’après-midi.
    Il était impossible de dire ce qui se passait sur la plage, et cette ignorance inspira une plaisanterie à Burnecker. Toute la matinée, tandis que les obus éclataient autour d’eux, il avait serré convulsivement le bras de Noah et répété d’une voix étrange, méconnaissable : « On va y passer aujourd’hui. On va y passer aujourd’hui. » Vers midi, il s’était repris, il avait cessé de vomir et mangé une ration K, critiquant amèrement la sécheresse du fromage et apparemment résigné à son sort, ou tout au moins plus optimiste. Et lorsque, regardant la plage où pleuvaient les obus, où couraient les hommes, où sautaient les mines, Noah lui avait demandé : « Qu’est-ce qui se passe ? » Burnecker avait répondu : « Je ne sais pas. Le marchand de journaux ne m’a pas encore apporté le New York Times. » La plaisanterie était assez pauvre, mais Noah avait éclaté de rire et, tout heureux de l’effet produit, Burnecker avait fini par suivre son exemple. À partir de ce jour, quiconque, dans la compagnie, demanda ce qui se passait entendit généralement répondre : « Je ne sais pas. Le marchand de journaux ne m’a pas encore apporté le New York Times. »
    Les heures passaient, pour Noah, dans une sorte de brouillard gris et froid, et beaucoup plus tard, chaque fois qu’il tenta de se remémorer quelles étaient ses impressions, sur le pont gluant de sang et d’embruns, tandis que le bateau tanguait, réduit à l’impuissance, parmi les points de chute épars des obus, il ne retrouva dans sa mémoire que des détails insignifiants et isolés : la plaisanterie de Burnecker, le lieutenant Green tendant son casque à un blessé vomissant, le visage du lieutenant de vaisseau penché sur le bastingage, pour inspecter les dégâts occasionnés à la péniche de

Weitere Kostenlose Bücher