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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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fut rapidement évident que, pour la seconde fois, le capitaine Colclough s’était égaré. Il arrêta la compagnie à un carrefour où deux M. P., enfoncés jusqu’à mi-poitrine dans des trous qu’ils avaient creusés, dirigeaient la circulation. Noah vit Colclough gesticuler et l’entendit injurier les M. P., qui secouaient la tête en signe d’ignorance. Puis Colclough sortit sa carte de sa poche et la déplia.
    –  C’est bien notre veine, murmura Burnecker en hochant la tête, on nous a gratifiés d’un capitaine qui ne trouverait pas une charrue dans une salle de bal.
    Le lieutenant Green s’approcha du capitaine.
    –  Arrière ! hurla Colclough. Retournez à votre poste. Je sais ce que je fais.
    Il s’engagea dans un sentier flanqué de hautes haies vives, et la compagnie marcha lentement sur ses traces. Il faisait sombre, entre ces deux murs de verdure, et, bien que les canons fussent toujours en pleine activité, il y régnait un calme relatif. Vaguement inquiets, les hommes scrutaient du regard l’épaisseur dense des feuilles entrelacées, parfaite pour une embuscade.
    Personne ne parlait. Ils marchaient dans l’herbe de part et d’autre de la route humide, guettant, par-dessus le flic-flac de leurs brodequins, symbole éternel de l’infanterie, le bruissement de feuilles, le claquement d’une culasse, la bribe d’Allemand qui signaleraient la présence de l’ennemi.
    Puis la route aboutit à un champ, le soleil triompha des nuages, et tout le monde se sentit mieux. Au centre du champ, une vieille femme trayait résolument ses vaches, avec l’assistance d’une jeune personne aux pieds nus. La vieille était assise sur un tabouret, près de sa carriole délabrée, attelée d’un énorme cheval pelé. Elle tirait méthodiquement, d’un air de défi, sur les pis gonflés de la vache au poitrail luisant et propre. De temps à autre, des obus se croisaient en sifflant au-dessus de leurs têtes. Des mitrailleuses tiraient, à quelque distance. Mais la vieille ne levait même pas les yeux. La jeune fille qui l’accompagnait n’avait pas plus de seize ans et portait un sweater vert, déchiré en plus d’un endroit. Elle avait un ruban rouge dans les cheveux et s’intéressait visiblement aux soldats.
    –  J’ai bonne envie de m’arrêter ici et de prendre part aux travaux de la ferme, dit Burnecker. Tu me diras comment aura fini la guerre, Ackerman.
    –  Continue, soldat, répliqua Noah. À la prochaine guerre, on sera tous dans les services du ravitaillement.
    –  J’en pince pour cette fille, dit Burnecker. Elle me rappelle l’Iowa. Tu connais quelques mots de français, Ackerman ?
    –  À votre santé, dit Noah. C’est tout ce que je sais.
    –  À votre santé, cria Burnecker à la jeune fille, en agitant à bout de bras son fusil. À votre santé, Baby.
    Puis, en anglais :
    –  Et la même chose pour ta vieille.
    La jeune fille lui rendit son salut, souriante.
    –  Elle est folle de moi, déclara Burnecker. Qu’est-ce que je lui ai dit ?
    –  À votre santé.
    –  C’est trop formel, protesta Burnecker. Je veux lui dire quelque chose de plus intime.
    –  Je t’adore, retrouva Noah dans un coin de sa mémoire.
    –  Qu’est-ce que ça veut dire ?
    –  Je t’adore, répéta Noah dans leur propre langue.
    –  Juste ce qu’il me fallait, dit Burnecker.
    La compagnie était parvenue à l’autre extrémité du champ. Il se retourna, ôta son casque et exécuta une révérence de grand style.
    –  Oh! Baby, je t’adore, je t’adore…
    La jeune fille sourit, et, pour la seconde fois, lui rendit son salut.
    –  Je t’adore, mon Américain ! cria-t-elle.
    –  La France est la plus grande nation du monde, dit Burnecker.
    –  Eh ! l’Excszité, avansze, dit Rickett en poussant un long doigt osseux dans les côtes de Burnecker.
    –  Attends-moi, Baby, hurla Burnecker à travers les champs printaniers, par-dessus les dos des vaches si semblables aux vaches de son Iowa natal. Attends-moi, Baby, je ne sais pas’le dire en français, mais attends-moi, je reviendrai…
    Sans lever les yeux, la vieille femme assise sur le tabouret ramena sa main droite en arrière et appliqua sur les fesses de la fille une claque énergique, dont le bruit se répercuta jusqu’à l’autre bout du champ. La jeune fille baissa la tête et se mit à pleurer. Elle courut se cacher de l’autre côté de la carriole.
    Burnecker soupira. Il remit son casque,

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