Le Bal Des Maudits - T 2
sentiments et de balles de ping-pong. Je les ai laissés vous dorloter et vous donner des sucreries, et vous poudrer les fesses, et vous faire croire que ça durerait toujours, et que l’Armée serait une mère pour vous. Maintenant, à mon tour. Et voilà ce que j’ai à vous dire. Cette compagnie tuera plus de Boches que n’importe quelle autre compagnie dans toute la division, et je serai fait major le 4 juillet, et si cela signifie que nous aurons plus de tués et de blessés que les autres compagnies, tout ce que je peux vous dire, c’est : « Voyez le chapelain. » Vous n’êtes pas venus en Europe pour visiter les monuments. Sergent, faites rompre les rangs. »
– Garde à vous ! Compagnie… Rompez !
Le capitaine Colclough n’avait pas été vu de toute la journée. Peut-être préparait-il un autre discours, pour saluer le débarquement de sa compagnie sur les côtes de France, ou peut-être était-il mort. Et le lieutenant Green, qui jamais de sa vie n’avait fait un discours, désinfectait et pansait les blessures, et couvrait les morts, et souriait aux vivants et leur rappelait de tenir au sec leurs armes et leurs munitions…
À quatre heures et demie, selon la promesse du lieutenant Green, la Marine avait réparé les moteurs et, un quart d’heure plus tard, la péniche de débarquement glissa sur la plage… Une grande activité régnait sur la plage. Des centaines d’hommes couraient en tous sens, charriant des caisses de munitions et des boîtes de rations, roulant des bobines de fil électrique, évacuant les blessés, creusant des abris pour la nuit parmi les ruines des péniches et des canons détruits et des bulldozers en pleine action. La rumeur d’une fusillade leur parvenait, atténuée, de l’autre versant de la falaise qui dominait la plage. De temps à autre, une mine sautait, un obus percutait dans le sable, mais il était évident que, pour l’instant du moins, la plage était conquise.
Le capitaine Colclough apparut sur le pont au moment où la péniche de débarquement s’échouait sur le sable. À son côté, dans un étui de cuir ouvragé, pendait un quarante-cinq à crosse garnie de nacre. C’était un cadeau de sa femme, avait-il dit un jour à quelqu’un de la compagnie, et il le portait spectaculairement bas sur la cuisse, comme un sheriff sur la couverture d’un roman du Far-West.
De la plage, un caporal-amphibie avait guidé la manœuvre. Il paraissait épuisé, mais très à l’aise, comme si toute sa vie s’était déroulée sur les côtes de France, parmi les éclatements d’obus et les rafales de mitrailleuse.
L’une des rampes s’abattit. Elle menait jusqu’au sable mou, et, chaque fois que les vagues revenaient du large, disparaissait sous quatre-vingts centimètres d’eau mouvante. L’autre avait été endommagée et ne fonctionnait plus, Colclough descendit vers le sable, s’arrêta au pied de la rampe et revint en arrière.
– Par ici, capitaine ! cria le caporal-amphibie.
– Il y a une mine devant nous, dit Colclough. Appelez ces hommes…
Il désigna une escouade du génie, qui, à l’aide d’un bulldozer, traçait une route à travers les dunes.
– Appelez-les, et dites-leur de venir ici et de nettoyer ce coin-là.
– Il n’y a pas de mine ici, mon capitaine, dit le caporal d’un ton las.
– J’ai dit que j’avais vu une mine ! hurla Colclough.
Le lieutenant de vaisseau se fraya un chemin jusqu’au capitaine.
– Faites évacuer le navire, mon capitaine, dit-il anxieusement. Il faut que je reparte immédiatement. Je ne peux pas me permettre de passer la nuit sur cette plage, et c’est tout juste si mes moteurs ont encore assez de force pour relever de son pot de chambre une putain malade. Si nous restons ici dix minutes de plus, nous ne pourrons jamais déhaler.
– Il y a une mine au pied de la rampe ! cria Colclough.
– Trois compagnies ont déjà débarqué à cet endroit, mon capitaine, expliqua le caporal, et personne n’a encore sauté.
– Je vous ai donné un ordre, répliqua Colclough ; appelez ces hommes et dites-leur de balayer ce coin-là.
– Oui, mon capitaine, dit le caporal en haussant les épaules.
Il se dirigea vers le bulldozer, faisant un léger détour pour éviter un groupe de seize cadavres roulés dans des couvertures, et proprement alignés sur le sable.
– Si vous ne quittez pas immédiatement ce navire, dit le lieutenant de vaisseau, l’armée
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