Le Baptême de Judas
causait d’atroces élancements qui me traversaient la poitrine. De peine et de misère, je parvins à ramasser Memento avec ma main gauche. À force de volonté, je réussis à fermer les doigts sur le manche. Puis, vacillant, je me dirigeai vers Montfort, qui gisait non loin de là, la jambe gauche pliée à un angle anormal et le visage maculé de sang. La colère était tout ce qui me soutenait, mais pour ce que j’avais à faire, elle me suffirait.
Cécile s’approcha de moi et posa doucement sa main sur mon épaule démise.
— Tu n’as rien ? demandai-je sans même la regarder, ni m’arrêter.
— Non, répondit-elle.
Ne songeant qu’à une seule chose, je la laissai là et poursuivis mon chemin. Montfort dut me sentir approcher, car il releva la tête. Dès qu’il m’aperçut, il tenta de se relever pour me faire face, mais retomba en grimaçant, tenant sa jambe brisée, son épée trop loin de lui pour qu’il puisse la saisir. À quelques coudées de lui, le tube de cuivre traînait sur le sol. Amaury était si lâche qu’il était parti sans l’emporter.
Haletant, je plantai les pieds de chaque côté de son torse et appuyai la pointe de Memento sur sa gorge. Nos regards se croisèrent et il dut lire dans le mien une haine identique à celle que je voyais dans le sien. Ses lèvres se retroussèrent en un rictus arrogant.
— Finis-en, dit-il avec défiance.
Faisant appel à toute ma volonté pour garder ma senestre fermée sur le manche de mon arme, j’appuyai. Une douleur fulgurante me traversa le poignet gauche et me remonta jusqu’au cœur. Puis, plus rien.
1
Jour d’expiation.
2
Ceux qui prient, ceux qui combattent et ceux qui travaillent.
3
Regarder de haut, se rengorger : ainsi brillent les méchants, mais ce n’est que péché. Proverbes 21,4.
4
Quand j’aiguiserai l’éclair de mon épée, quand je prendrai en main le jugement, je tournerai la vengeance contre mes rivaux, je réglerai leur compte à mes adversaires. Deutéronome 32,41.
5
Alors vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. Jean 8,32.
6
Auprès de leurs ancêtres.
Chapitre 20 Post hoc prœlium 1
Pour la première fois depuis mon retour de l’enfer, j’avais l’impression de reposer paisiblement, sans inquiétude ni peur. Mes yeux étaient clos et je n’éprouvais aucun besoin de les ouvrir. Je redécouvrais le plaisir de la détente en m’abandonnant tout entier à la sensation du matelas moelleux sur lequel je reposais. J’inspirai profondément en me tortillant de plaisir. L’endroit où je me trouvais sentait bon les fleurs. Je m’étirai langoureusement en goûtant la douce sensation des muscles qui s’éveillent et sortent de la torpeur de la nuit. Il ne manquait que Cécile et son corps chaud contre le mien pour que tout soit parfait.
Une caresse aussi légère qu’un souffle suivit le contour de ma joue jusqu’à la pointe de mon menton. Puis on écarta délicatement une mèche de cheveux de sur mon front. Je souris en comprenant que la femme de ma vie était là, assise sur le bord de mon lit, à me regarder sommeiller. Je n’avais qu’à tendre la main et je sentirais sa peau douce frémir sous mon toucher. Je l’attirerais contre moi, je la dévêtirais et je la prendrais sans hâte, les yeux dans les yeux, comme nous le faisions jadis à Toulouse. Puis je la garderais dans mes bras pour m’enivrer de l’odeur de ses cheveux et du goût de sa bouche. Mais je n’en fis rien. La savoir là, toute proche, était si doux que j’étais dans un état de plénitude. L'expectative était tellement suave que l’amour charnel viendrait plus tard. Il n’y avait aucune presse.
Après quelques moments, je me décidai enfin à ouvrir les yeux pour les remplir de la beauté de la demoiselle de Foix, mais je trouvai quelqu’un d’autre. Quelqu’un dont la tête tranchée tenait précairement sur ses épaules, une plaie sanglante lui encerclant le cou, et dont les caresses n’étaient que filiales.
— Mon pauvre petit, murmura doucement ma mère avec un sourire résigné. Depuis le jour où je t’ai mis au monde, tu as tellement souffert. Mais tout est fini, maintenant. Tu peux enfin te reposer. Tu as certes gagné ton salut.
J’allais lui répondre que j’avais mérité chaque seconde des tourments que j’avais endurés, que j’étais né mauvais et que cette folle quête avait été la source de ma rédemption,
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