Le Baptême de Judas
l’espace d’un souffle, mes espoirs s’étaient effondrés. J’étais dans un cul-de-sac. Je laissai aller mon regard sur ma tendre amie et le désespoir que je lus dans le sien ne faisait que refléter le mien.
Le sourire aux lèvres, Montfort ne se retenait pas pour pavoiser. J’aurais voulu ressentir de la haine, avoir envie de lui sauter à la gorge. Mais je n’éprouvais qu’une infinie lassitude qui me faisait sentir aussi lourd qu’une muraille. Certes, je semblais avoir assuré le salut de mon âme. J’aurais dû avoir le cœur en liesse et accueillir à bras ouverts ma mort imminente. Pourtant, je ne pensais qu’à Cécile. Malgré tous mes efforts, je n’avais pu la sauver. Maintenant, elle deviendrait une vulgaire monnaie d’échange et Dieu seul savait ce qu’il en adviendrait. Le fait que Montfort n’avait pas avantage à la tuer dans l’immédiat n’était qu’une mince consolation. Le maudit boucher pouvait changer d’idée à tout moment.
Je soupirai, désespéré, en me souvenant que nous avions tous soupçonné un tel coup fourré à peine quelques heures plus tôt.
— Tu es bien gourmand, Simon. Pourquoi se contenter de la moitié de quelque chose quand on peut tout avoir ? gloussa Montfort, content de lui-même. L’Église a maintenant ce qu’elle voulait. Pour ma part, je pourrai certainement convaincre le comte de Foix de retirer ses troupes de Moissac en échange de la vie de sa fille chérie et de son fils bien-aimé. Tout le monde y trouve son compte.
Je toisai Amaury qui, par un petit haussement des sourcils, me confirma qu’il était de mèche avec l’autre. Montfort se retourna vers ses soldats et leur fit un signe de la tête. Aussitôt, Ugolin, Payraud et Odon furent brutalement poussés en bas de leur monture. Les mains attachées, ils ne purent amortir leur chute et atterrirent comme ils le purent.
— Évidemment, seuls les Foix me sont utiles, dit-il. Je n’ai que faire des autres. Mais j’ai pensé qu’avant de crever, tu aimerais les voir se faire décapiter.
À ces mots, mon sang se glaça dans mes veines. Plusieurs hommes descendirent de cheval en dégainant leurs épées, pressés d’exécuter l’ordre de leur maître. Ugolin se remit à genoux, bien décidé à lutter à coups de tête et de dents s’il le fallait. Foix regarda désespérément de tous les côtés, à la recherche d’une échappatoire, mais on l’empoigna pour le tirer à l’écart. Odon se raidit, faisant bravement face à une mort inévitable.
— Commencez par le gros, ordonna Montfort.
Aussitôt, un coup de pied au ventre fit plier le Minervois en deux. Un soldat saisit ses poignets liés dans son dos et les maintint fermement pour l’immobiliser, la tête penchée vers l’avant. L’autre prit son épée à deux mains et l’éleva au-dessus de sa tête. Sans réfléchir, sans armes, je m’élançai vers mon ami, mais trois soldats s’interposèrent et me plaquèrent au sol. L’un d’eux m’empoigna les cheveux et me redressa la tête de force afin que je ne manque rien du macabre spectacle.
Désemparé, je cherchai Payraud du regard. Il était assis, encadré par deux soldats qui le tenaient en joue à la pointe de leur arme, et considérait la scène. Les sourcils froncés, il se mordillait les lèvres et semblait hésitant. Lorsque ses yeux croisèrent les miens, son visage se durcit et il secoua rageusement la tête. Il considéra à nouveau Ugolin, puis me revint. L’air exaspéré, il leva les yeux au ciel.
— Yallah ! hurla-t-il de cette voix puissante que seuls possèdent les soldats familiers avec le vacarme des champs de bataille. Yallah !
Surpris, le soldat qui allait décapiter Ugolin interrompit son mouvement. Pendant un moment, rien ne se produisit. Puis le bruit de chevaux au galop monta. Montfort redressa la tête.
— Bougre de Dieu ! On nous attaque ! À cheval ! Aux armes ! s’écria-t-il.
Ses croisés eurent à peine le temps de se remettre en selle qu’une dizaine de cavaliers vêtus en paysans, l’épée au clair, surgirent et leur fondirent dessus. Le choc des armes remplit aussitôt l’air, entrecoupé des grognements déterminés d’hommes qui luttent pour leur vie. Pris de court, quelques soldats de Montfort furent promptement envoyés ad patres 6 par les terribles templiers de Norbert, deux fois moins nombreux, mais non moins redoutables.
— Sauvez la demoiselle de Foix ! cria
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