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Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Titel: Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Luminet
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d’Aristée dans le domaine de la fabrication du papyrus et de l’encre en firent tout naturellement le maître des copistes. Mais cette fonction, dans les premiers temps, fut purement honorifique. Il devait se consacrer tout entier à l’entrée de la Bible dans le Musée et à sa traduction.
    Ce n’était pas une mince affaire. Certes, il n’avait plus d’opposition du côté d’Alexandrie. Bien au contraire, le roi lui demandait de hâter les choses pour connaître la Loi mosaïque avant sa mort. Par ailleurs, Aristée n’eut aucun mal à trouver les rouleaux sacrés : il fit don des siens propres au Musée. Il ne lui restait plus qu’à trouver des traducteurs. Et c’était bien là le plus difficile.
    La vieille colonie juive d’Égypte était venue s’installer à Alexandrie dès la fondation de la ville dans un quartier qui jouxtait celui des palais. Rien ou presque ne les distinguait des Grecs. Ce n’était pas de ce côté-là qu’il faudrait chercher les scribes traducteurs. Ce n’était pas non plus du côté de ceux qui avaient été pris comme esclaves, lors des guerres menées par Alexandre et Ptolémée en Palestine, surtout d’anciens soldats et leur famille qui faisaient partie du butin.
    Il fallait partir à Jérusalem pour y dénicher les scribes et les docteurs qui accepteraient de se déplacer jusqu’à Alexandrie, et de se mettre à la tâche. Depuis près de quarante ans que la Palestine était aux mains des Grecs, nombreux étaient les juifs qui se laissaient tenter par les nouveautés apportées par l’occupant. On découvrait les philosophes et les poètes, on allait aux thermes et au stade, on voyageait jusqu’à Athènes et l’on scellait des mariages avec les occupants. Les prêtres et les docteurs pharisiens vitupéraient de voir leurs fidèles se détourner d’eux, attirés par ce qu’ils dénonçaient comme un second veau d’or. Il en est ainsi dans toutes les religions du monde. Ceux qui les dirigent ont en horreur tout ce qui vient d’ailleurs, surtout le bon et le beau. Une autre vérité affaiblit d’autant leur pouvoir temporel, même si elle ne contredit pas la leur. N’est-ce pas, Amrou ?
    Mais pardonne à mon esprit trop questionneur, et revenons-en à Aristée. Sûr d’un refus s’il se présentait à Jérusalem les mains vides, il alla voir le roi avant de partir et lui demanda de promettre l’affranchissement de tous les juifs restés en esclavage en échange de l’acceptation des docteurs hébreux de venir travailler au Musée. Ptolémée promit. Contrairement à son lointain prédécesseur Pharaon, il avait constaté que, libre, le peuple de Moïse se montrait bien plus utile à l’État, plutôt que dans les chaînes.
    Fort de cette promesse, Aristée appareilla pour Jérusalem. Il n’avait vu la ville qu’au temps de son enfance. En bon Alexandrin qu’il était devenu, il fut un peu déçu qu’elle fût si petite. Le Temple et la colline de Sion auraient tenu entiers dans l’île de Pharos.
    Contrairement à son attente, le Sanhédrin, le conseil des prêtres juifs, accepta sans difficultés la demande de Ptolémée. Les soixante et onze membres de ce tribunal religieux, ainsi que son grand-prêtre, seraient bien partis eux-mêmes, mais la plupart d’entre eux n’entendaient pas le grec. Aussi désignèrent-ils avec soin ceux qui les représenteraient : douze groupes de six Anciens chacun, représentant les douze tribus d’Israël. La tradition les appela plus tard « Les Septante », erreur de calcul dont fut sans doute responsable un copiste paresseux. Je ne pense pas, par ailleurs, qu’il faille imaginer dans ces soixante-douze hommes une escouade tremblotante de vieillards chenus. « Ancien » signifie exactement « chef de famille » ou « chef de clan ». Ce n’est pas une question d’âge. Ces gens fort savants connaissaient parfaitement le grec ; ils devaient donc être ouverts sur le monde des Gentils et prendre quelques libertés avec la tradition.
    Et puis, pour accomplir un aussi long voyage et une aussi lourde tâche, je ne vois que des hommes dans leur maturité.
    La chronique raconte que, dès leur arrivée, Ptolémée les accueillit dans la grande salle d’audience de son palais. Elle raconte aussi que, durant sept jours, lors d’un banquet, le roi les interrogea sur toutes les choses de la nature, du ciel, de l’homme, de la femme, du bon gouvernement, et que les soixante-douze rabbins surent

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